Brésil

Commission Nationale de Vérité

A partir de 1964, le Brésil a été plongé dans 21 années de dictature. A travers l’adoption de nouveaux textes et la modification de la Constitution, les gouvernements ont cumulé les principaux pouvoirs au sein de l’exécutif. Les régimes répressifs successifs se sont rendus responsables de nombreuses violations des droits de l’homme dont de nombreux cas de torture et de disparitions forcées. Durant ces régimes, également une forte censure des médias a été mise en place. 

En 1979, une loi d’amnistie est adoptée pour les crimes commis par les agents de l’État. Mais en 2010, cette loi sera déclarée incompatible avec la Convention américaine des droits de l’homme par la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

La dictature a officiellement pris fin en 1985. En 1995 et 2002, deux institutions ont été créées afin de donner réparations aux victimes des dictatures, la Commission spéciale sur les morts et disparus politiques (CEMDP) puis la Commission amnistie. 

Le 18 novembre 2011, est adoptée la loi n°12 528/2011 créant la Commission Nationale de la Vérité pour enquêter sur les graves violations des droits de l’homme survenues entre le 18 septembre 1946 et le 5 octobre 1988, afin de réaliser le droit à la mémoire et à la vérité historique et de promouvoir la réconciliation nationale. La Commission a rendu son rapport final le 10 décembre 2014. 

Chronologie

1964 : Le 31 mars, un coup d’Etat militaire renverse le président en place, João Goulart, dit Jango, qui s’exile en Uruguay. Le 15 avril, le général Castello Branco prend le pouvoir et instaure un régime autoritaire. C’est le début de la dictature brésilienne, qui subsistera durant 21 ans, et de nombreuses violations des droits de l’homme. La torture est largement utilisée durant ces deux décennies. 

Castello Branco adopte des Actes institutionnels qui ont pour conséquence de suspendre les élections directes, offrant le choix du chef de l’Etat au Congrès, puis d’interdire plusieurs partis politiques en adoptant le bipartisme en faveur de l’Alliance nationale de rénovation (ARENA) et le Mouvement démocratique brésilien (MDB). 

Il amende également certaines dispositions constitutionnelles afin de modifier le fonctionnement du pouvoir judiciaire et concentrer davantage de pouvoir au sein de l’exécutif. 

1967 : Costa e Silva prend la tête du pays. Son régime se caractérise par de nombreuses violences, tortures envers les opposants au régime, de restriction des droits politique et de la liberté d’expression. 

Face à l’opposition au régime, Costa e Silva adopte l’Acte institutionnel n°5 qui suspend la constitution de 1946, dissout le Congrès, donne au président des pouvoirs discrétionnaires, impose la censure et abroge la majorité des libertés individuelles. Ce cinquième acte institutionnel marque la période la plus sombre du régime autoritaire, appelée les “années de plomb”, par sa violence et le nombre de violations graves des droits humains. 

1969 : Durant le gouvernement des Médicis la censure des médias et la torture s’intensifient.  Le gouvernement commandite notamment « l’Opération Bandeirantes » (OBAN) afin de démanteler toute organisation clandestine et lutter contre le « terrorisme ».

Cette période est aussi connue sous le nom de “miracle économique” en raison de l’augmentation du PIB et de nombreux investissements. Ce “miracle économique” a toutefois entraîné une dette extérieure très importante telle qu’il a généré une forte dépendance à l’égard des prêts étrangers. 

1971 : Un décret-loi a été promulgué intensifiant la censure de la presse. Une forte répression contre les groupes de gauche se met en place. Des institutions ont été créées pour les combattre, comme le Département des opérations internes (DOI) et le Centre pour les opérations de défense interne (CODI). Ces organes étaient utilisés comme centres d’emprisonnement et de torture et étaient situés dans les principales villes du Brésil.

1974 : Le nouveau Président, Geisel, débute une ouverture politique pour entamer une transition démocratique. Les violations des droits de l’homme et les répressions violentes se poursuivent toutefois. 

Il fait face à une forte opposition de la population. En réponse, en 1978, Geisel abroge plusieurs décrets-lois dont l’Acte institutionnel n°5. 

1979 : Le 28 août, le gouvernement de Figueiredo promulgue une loi d’amnistie, interdisant d’engager la responsabilité individuelle des agents de l’État ayant commis des violations des droits humains entre 1964 et 1985.

1985 : Tancredo Neves est élu par vote indirect. En 1988, son gouvernement adopte une nouvelle Constitution fédérale visant à remplacer la législation édictée au temps du régime militaire.

1989 : Première élection démocratique organisée depuis 1964. Élection du Président Fernando Collor au suffrage direct.

1995 : Création de la Commission spéciale sur les morts et disparus politiques (CEMDP) par la loi n°9.140/1995, qui marque la reconnaissance par l’État brésilien de sa responsabilité dans les violations graves des droits humains durant le régime militaire. Elle rendra un rapport en 2007 “Droit à la mémoire et à la vérité” et reconnaîtra au moins 400 morts et disparitions sous le régime militaire.

2002 : Création de la Commission amnistie sous la direction du Ministère de la justice, chargée d’examiner les requêtes des victimes de persécution politique entre 1946 et 1988 et d’organiser la mise en œuvre des réparations

2006 : Ouverture des archives de la répression de l’État militaire dictatorial.

2010 : La Cour interaméricaine des droits de l’homme reconnaît la responsabilité du Brésil dans la disparition des participants de la Guérilla de l’Araguaia et considère la loi d’amnistie de 1979 incompatible avec la Convention américaine des droits de l’homme. 

2011 : 18 novembre, adoption de la loi n°12 528/2011 créant la Commission Nationale de la Vérité. En parallèle, la loi sur l’accès à l’information, Loi n°12.527/2011, est promulguée. De plus, les fonds des Archives nationales sont reconnus par le Programme Mémoire du monde comme appartenant au patrimoine de l’humanité intitulées « Réseau de renseignement et de contre-renseignement du Régime militaire du Brésil, 1964-1985 » .

2014 : Le rapport final de la Commission nationale de la vérité a été remis le 10 décembre, Journée internationale des droits de l’homme, lors d’une cérémonie tenue au Palais planalto.

 

La Commission en détails

Création :  16 mai 2012

Dissolution : 16 décembre 2014

Base juridique : Loi établissant la Commission nationale de la vérité n°12528/2011 du 18 novembre 2011

 

Composition : la commission est composée de sept conseillers désignés par le Président. 

José Carlos Dias, José Paulo Cavalcanti Filho, Maria Rita Kehl, Paulo Sérgio Pinheiro, Rosa Maria Cardoso da Cunha, Claudio Lemos Fonteles (démissionnaire le 2 septembre 2013), Gilson Langaro Dipp (expulsé pour des raisons de santé le 9 avril 2013) et Pedro Bohomoletz de Abreu Dallari (nommé le 3 septembre 2013).

 

Mandat : enquêter sur les graves violations des droits de l’homme survenues entre le 18 septembre 1946 et le 5 octobre 1988, afin de réaliser le droit à la mémoire et à la vérité historique et de promouvoir la réconciliation nationale.

 

 

 

 

 

 

Compétences :

Article 3

– clarifier les faits et les circonstances des cas de violations graves des droits de l’homme ;

– promouvoir la clarification détaillée des cas de torture, de décès, de disparitions forcées, de dissimulation de cadavres et de leur paternité, même s’ils se sont produits à l’étranger ;

– identifier et rendre publics les structures, les lieux, les institutions et les circonstances liés à la pratique des violations des droits de l’homme et ses ramifications possibles dans les différents appareils d’État et dans la société ;

– transmettre aux organismes publics compétents toute information obtenue qui peut aider à localiser et à identifier les corps et les restes des personnes politiquement disparues ; 

– collaborer avec toutes les instances des autorités publiques pour enquêter sur les violations des droits de l’homme;

– recommander l’adoption de mesures et de politiques publiques pour prévenir les violations des droits de l’homme, veiller à ce qu’elles ne se reproduisent pas et promouvoir une réconciliation nationale effective; et

– promouvoir, sur la base des rapports obtenus, la reconstitution de l’historique des cas de violations graves des droits de l’homme, ainsi que d’aider les victimes de ces violations.

Article 11 : La Commission doit remettre “un rapport détaillé contenant les activités menées, les faits examinés, les conclusions et les recommandations.

conclusions et recommandations

Le rapport final de la Commission nationale de la vérité a été remis le 10 décembre 2014. Il contient notamment les conclusions et recommandations suivantes : 

 

Conclusions : 

– Les graves violations des droits de l’homme perpétrées pendant la période sur laquelle la CNT a enquêté, en particulier pendant les 21 années du régime dictatorial établi en 1964, ont été le résultat d’une action généralisée et systématique de l’État brésilien. La Commission réfute donc totalement l’explication adoptée jusqu’à présent par les forces armées, selon laquelle les graves violations des droits de l’homme consistaient en quelques actes isolés ou excès, générés par le volontarisme de quelques militaires.

– La Commission a estimé que la pratique des détentions illégales et arbitraires, la torture, les exécutions, les disparitions forcées et la dissimulation de cadavres par des agents de l’État pendant la dictature militaire constituaient des crimes contre l’humanité.

– En examinant le scénario des violations graves des droits de l’homme correspondant à la période sur laquelle elle a enquêté, la Commission a pu vérifier qu’il persiste aujourd’hui. Bien qu’elle ne se produise plus dans un contexte de répression politique – comme c’était le cas pendant la dictature militaire – la pratique des détentions illégales et arbitraires, de la torture, des exécutions, des disparitions forcées et même de la dissimulation des cadavres n’est pas étrangère à la réalité brésilienne contemporaine. Selon la CNV, cette situation est en grande partie due au fait que les graves violations des droits de l’homme commises dans le passé n’ont pas été signalées de manière adéquate et que leurs auteurs n’ont pas été tenus responsables, ce qui a créé les conditions de leur perpétuation.

 

Recommandations : La Commission apporte 29 recommandations, réparties en trois groupes:

Mesures institutionnelles

– Reconnaissance par les forces armées de leur responsabilité institutionnelle dans les violations flagrantes des droits de l’homme commises pendant la dictature militaire (1964 à 1985).

– Détermination, par les organes compétents, de la responsabilité juridique – pénale, civile et administrative – des agents publics qui ont causé les graves violations des droits de l’homme qui se sont produites pendant la période sur laquelle le CNT a enquêté, en excluant l’application des dispositions d’amnistie contenues dans les textes suivants

de la loi n° 6683 du 28 août 1979 et d’autres dispositions constitutionnelles et légales

– Proposition, par l’administration publique, de mesures administratives et judiciaires de recours contre les agents publics auteurs d’actes ayant entraîné la condamnation de l’État pour avoir commis de graves violations des droits de l’homme.

– Reformulation des examens d’entrée et des processus d’évaluation continue dans les Forces armées et dans le domaine de la sécurité publique, afin de valoriser la connaissance des préceptes inhérents à la démocratie et aux droits de l’homme.

– Redéfinition des examens d’entrée et des processus d’évaluation continue dans les forces armées et dans le domaine de la sécurité publique, afin de valoriser les connaissances sur les préceptes inhérents à la démocratie et aux droits de l’homme.

– Modification du contenu des programmes des académies militaires et de police pour promouvoir la démocratie et les droits de l’homme.

– Rectification de la cause du décès dans les certificats de décès des personnes tuées lors de violations graves des droits de l’homme.

– Rectification des informations dans le Réseau national d’intégration de l’information sur la sécurité publique, la justice et l’inspection (Réseau Infoseg) et, en général, dans les registres publics.

– Création de mécanismes pour prévenir et combattre la torture

– Désengagement des instituts de médecine légale, ainsi que des agences d’investigation criminelle, des secrétariats de la sécurité publique et de la police civile.

– Renforcer le bureau des défenseurs publics

– Dignifier le système pénitentiaire et le traitement des détenus

– Création légale des médiateurs externes dans le système pénitentiaire et des organes connexes

– Renforcement des conseils communautaires pour contrôler les établissements pénitentiaires

– Garantie d’une prise en charge médicale et psychosociale permanente des victimes de violations graves des droits de l’homme.

– Promotion des valeurs démocratiques et des droits de l’homme dans l’éducation

– Appui à l’institution et au fonctionnement des organes de protection et de promotion des droits de l’homme

 

Réformes constitutionnelles et juridiques

– Révocation de la loi sur la sécurité nationale

– Amélioration de la législation brésilienne pour caractériser les actes criminels correspondant aux crimes contre l’humanité et au crime de disparition forcée. 

– Démilitarisation des forces de police militaire de l’État

– Extinction de la justice militaire d’Etat

– Exclusion des civils de la juridiction de la justice militaire fédérale

– Suppression, dans la législation, des références discriminatoires à l’homosexualité.

– Modification de la législation relative à la procédure pénale afin de supprimer la figure du rapport de résistance à l’arrestation.

– Introduction de l’audience de garde à vue, pour prévenir la pratique de la torture et de la détention illégale.

 

Mesures de suivi des actions et recommandations de la Commission 

– Création d’un organe permanent chargé du suivi des actions et des recommandations du CNT.

– Poursuite des activités visant à localiser, identifier et remettre les restes des disparus politiques à leurs proches ou aux personnes légitimes pour qu’ils soient enterrés dignement.

– Préservation de la mémoire des graves violations des droits de l’homme

– Poursuite et renforcement de la politique de localisation et d’ouverture des archives de la dictature militaire.

mesures post recommandations

Après la remise du Rapport de la Commission Nationale de la Vérité, le 10 décembre 2014, une Collecte de la Commission nationale de la vérité a été créée, le 15 décembre 2014. Cette structure administrative temporaire qui était chargée d’organiser les documents collectés par la CNV au cours de ses deux années et sept mois d’activité. La collection de la Commission nationale de la vérité rassemble des milliers de documents, témoignages de victimes et de membres de leurs familles, témoignages d’agents de répression politique, 47 000 photographies, vidéos d’audiences publiques, due diligence et témoignages, rapports d’experts, livres…

Le principal sujet de controverse, qui divise aussi bien l’opinion publique que la Commission nationale elle-même, porte sur la loi d’amnistie, adoptée à la fin du régime militaire, en 1979. Fruit des compromis qui ont favorisé le retour à la démocratie, cette amnistie a toutefois empêché toute action pénale contre les tortionnaires et les responsables d’exécutions extrajudiciaires ou de disparitions forcées. En 2010, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a déclaré que les dispositions de la loi « sont manifestement incompatibles » avec des conventions internationales. Cependant, cette loi d’amnistie fait barrage aux actions pénales nationales, malgré la liste publique de la Commission de 377 personnes qu’elle juge responsables de graves violations des droits de l’homme. 

Les forces armées n’ont pas demandé pardon pour les crimes de la dictature. Réticentes à collaborer avec la Commission de la vérité, les forces armées ont prétendu en septembre 2019 ne pas être en condition « de confirmer ou de nier » les violations des droits de l’homme dans les casernes.



Prise en compte des violences sexuelles

La Commission consacre un chapitre entier de son rapport final aux violences sexuelles et violences de genre.

La Commission reconnait qu’en “cherchant à promouvoir une clarification détaillée des cas de torture survenus pendant la dictature militaire, a constaté que la violence sexuelle était une pratique répandue à cette époque”.

La Commission déclare “la violence sexuelle, exercée ou autorisée par des agents de l’État, constitue une torture”, et rappelle que “ la jurisprudence considèrent que la violence sexuelle représente une grave violation des droits de l’homme et entre dans la catégorie des « crimes contre l’humanité »”. 

La Commission s’intéresse dans ce chapitre notamment à la violence sexuelle et de genre en tant qu’instrument de pouvoir et de domination, aux normes internationales dédiées aux violences sexuelles et de genre, aux conséquences de ces violences pour les survivants ou encore à ces violence commises contre les enfants et les adolescents, le traumatisme qu’elles générent ainsi que l’héritage et la transmission de ce traumatisme.

Documents complémentaires

médiathèque audiovisuelle

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