Équateur

Commission Vérité

L’Equateur a connu un enchaînement de régimes militaires depuis 1984. Ces gouvernements successifs étaient à l’origine de nombreuses violations des droits de l’homme telles que “la privation illégale de liberté, la torture, la disparition forcée, l’atteinte au droit à la vie et l’exécution extrajudiciaire”. 

En 2007, en signe de reconnaissance, le gouvernement équatorien a créé une Commission Vérité (CVE) afin d’enquêter sur ces diverses exactions. La Commission a rendu son rapport final, intitulé “Sans Vérité, Pas de justice” en 2010. 

Par ailleurs, le pays a connu une seconde instance intitulée  “Commission spéciale pour la Vérité et la Justice équatoriale”, créée par le Défenseur du Peuple, Freddy Carrión, dans le but d’analyser les événements de la grève nationale qui a eu lieu entre le 3 et le 16 octobre 2019. Elle a rendu son rapport final sur cet évènement spécifique le 17 mars 2021. Cette Commission s’est, entre autre, chargée d’enquêter sur les violences sexuelles perpétrées lors des manifestations d’octobre 2019. 

Chronologie

1979 : Après des décennies de dictatures, Jaime Roldos est le premier président équatorien élu démocratiquement. Sa mort inattendue deux ans plus tard suffit à replonger le pays dans une succession de régimes militaires au rythme de nombreux soulèvements populaires. Ces régimes autoritaires seront entachés de multiples graves violations des droits de l’homme, notamment contre leurs opposants politiques. Cette instabilité politique ne prend fin qu’en 2007 suite à l’élection de Rafael Correa en 2007.    

1986 : Les autochtones fondent la première organisation regroupant toutes leurs organisations: la Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador (Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur) ou CONAIE. Celle-ci fut à l’origine du grand Levantamiento de 1990, la plus grande révolte indigène de l’histoire de l’Équateur: elle portait sur l’exigence d’une reconnaissance des langues et des cultures autochtones. En 1994, un nouveau soulèvement général améridiens éclate à travers le pays. 

1995 : Les tensions avec le Pérou refont surface concernant l’acquisition d’un territoire stratégique. Un conflit éclate à la frontière et fait de nombreuses victimes. Un cessez-le-feu est signé et une zone de démilitarisation est créée, mais les tensions persistent.

1998 : Une nouvelle constitution reconnaît aux autochtones leurs droits ancestraux et le gouvernement ratifie la Convention relative aux peuples indigènes de l’Organisation internationale du travail (OIT).

1999 :  Le pays voit la crise sociale et financière s’aggraver et des grèves répétées de la CONAIE amènent le président à décréter l’état d’urgence à plusieurs reprises. 

1999 : L’Équateur et le Pérou trouvent un accord afin de fixer définitivement leurs frontières en Amazonie. Cela met fin à un litige frontalier vieux d’un siècle et demi. 

2000 : Le pays connaît une grave crise financière, 78% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et le taux de chômage atteint les 50%.Du fait de cette crise, de la corruption grandissante et de la dollarisation de l’économie, un soulèvement indien éclate, soutenu par les militaires et les syndicats. Le gouvernement répond par la violence et la répression. Le Président Jamil Mahuad est finalement renversé. Se succèdent ensuite à la présidence Gustavo Noboa, Lucio Gutiérrez puis. Alfredo Palacio.

2007 : Rafael Correa est élu président. Une transition démocratique s’enclenche. Le 3 mai, il crée la Commission de la Vérité de l’Equateur (CVE). 

2010 : La CVE rend son rapport final intitulé “Sans Vérité Pas de Justice”. 

La commission en détails

Création : 14 janvier 2008

Dissolution : 2010

Base juridique : Décret présidentiel n°305 du 3 mai 2007

Composition : La Commission est composée de 4 commissaires : Julio César Trujillo, Monseigneur Luis Alberto Luna Tobar, Sœur Elsie Monge Yoder et Pedro Restrepo Bermúdez (art. 7).

La Commission était également assistée d’un Comité de soutien composé de Mireya Cárdenas, Clara Merino, Francisco Acosta, des parents des victimes, Ramiro Avila S., et d’un délégué du Gouvernement, qui était initialement Julio César Quiñonez jusqu’en octobre 2008, Iván Granda jusqu’en février 2009 puis Gabriela Espinoza jusqu’à la finalisation du rapport.

Mandat : « Enquêter et empêcher l’impunité sur les actes de violence et les violations des droits de l’homme survenus entre 1984 et 1988 et d’autres périodes » (art. 1).  Le délai concerné a ensuite été prolongé de 1984 à 2008. 

Compétences : (Art. 2)

  1. Mener une enquête approfondie et indépendante sur les violations des droits de l’homme qui se sont produites entre 1984 et 1988, et d’autres cas particuliers, tels que l’affaire dite de Fybeca, ainsi que sur les causes et les circonstances qui les ont rendues possibles. 
  2. Demander la déclassification d’archives d’État à caractère confidentiel ou relevant de la sécurité nationale. 
  3. Promouvoir la reconnaissance des victimes de ces violations et concevoir des politiques de réparation. 
  4. Recommander les réformes juridiques et institutionnelles nécessaires, ainsi que des mécanismes efficaces de prévention et de sanction des violations des droits de l’homme. 
  5. Déterminer l’existence d’indices probables de responsabilités civiles, pénales et administratives afin de les transmettre aux autorités compétentes

conclusions et recommandations

La CVE a rendu son rapport final en 2010, il contient les conclusions et recommandations suivantes : 


Conclusions

– Un total de 118 cas, comprenant 456 victimes, a été enregistré pour les six types de violations considérées. Au total, 831 infractions ont été relevées, car différents types de délits ont été signalés chez la même personne.  

– La majorité des violations ont été commises durant le gouvernement Febres Cordero (68%).

– 460 auteurs présumés ont été identifiés : “49,6% correspondent à des officiers et membres actifs et passifs de la Police nationale, 28,3% à des membres actifs et passifs des trois branches des Forces armées, 10% à des autorités gouvernementales, 5,4% à des fonctionnaires judiciaires et 5,9% à des autorités ou agents de l’Etat. 5,9 % d’autorités étrangères ou d’agents de l’État”

Recommandations : Le rapport final contient 155 recommandations concernant la réparation, matérielle et symbolique, et les garanties de non répétition, dont : 

Satisfaction : Déclaration de l’État équatorien dans laquelle il reconnaît les faits et accepte la responsabilité de l’État pour les violations des droits de l’homme établies dans le rapport final de la Commission de la vérité, présente des excuses pour ce qui s’est passé et s’engage à faire en sorte que des événements aussi regrettables ne se reproduisent pas, ainsi qu’à promouvoir leur élucidation et l’ouverture d’enquêtes judiciaires si nécessaire ; Diffuser les conclusions et recommandations du rapport ; Favoriser les lieux de mémoire ; Créer les “Archives de la mémoire des violations des droits de l’homme en Equateur” ; Concevoir un programme de recherche des personnes ayant fait l’objet d’une disparition forcée…

Restitution : Rectifier et effacer les antécédents judiciaires et policiers des personnes qui ont été détenues, poursuivies ou condamnées lorsque leurs droits de l’homme ont été violés ou lorsqu’ils n’ont pas bénéficié d’une procédure régulière ; Exiger du Secrétariat national aux migrants (SENAMI) qu’il facilite les conditions d’une vie volontaire, sûre et digne pour le retour volontaire, en toute sécurité et dans la dignité, des personnes qui ont dû s’exiler ou être déplacées de force à la suite des violations des droits de l’homme qui font l’objet du présent rapport…

– Réhabilitation : Établir une politique de soins de santé physique et psychosociale pour les victimes de violations des droits de l’homme et leurs familles ; Mettre en place des mécanismes de prévention des violations des droits de l’homme en détention ; Eriger un soutien psychosocial dans le cadre de l’enquête judiciaire, depuis le dépôt de la plainte jusqu’au stade de l’instruction de leur dossier…

Indemnisation : Accorder des indemnités forfaitaires aux victimes de détention illégale ou arbitraire, de torture et de violence sexuelle, d’autres blessures ne résultant pas de la torture, d’exécution extrajudiciaire et de disparition forcée…

Garanties de non répétition : Éduquer tous les secteurs en matière de droits de l’homme ; Renforcer le système judiciaire ; Promouvoir les politiques publiques en matière de droits de l’homme et les réformes juridiques pour adapter le cadre légal des droits de l’homme…

Programme de réparation par voie administrative : Établir un programme de réparations administratives, opérant dans les organes gouvernementaux et par les canaux gouvernementaux, et responsable de la mise en œuvre des mesures de réparation…

mesures post recommandations

Le gouvernement a adopté le 13 décembre 2013, la “Loi pour la réparation des victimes et la poursuite des graves violations des DH qui se sont produites en Equateur entre octobre 1983 et le 31 décembre 2008”. 

Cette loi de 10 articles transmet notamment  au Bureau du Médiateur la responsabilité du Programme de réparation pour les victimes de violations graves des droits de l’homme reconnu par la Commission de la vérité. Il travaille principalement sur “la mémoire collective, en tant que contribution sociale à la prévention des violations des droits de l’homme, en tenant compte de leur effet au niveau local et national. Elle vise également à promouvoir la garantie et le respect des droits par l’État, et à faire en sorte que de tels actes ne se reproduisent pas, car ils représentent un recul dans l’accès aux droits de l’homme”. Le Bureau du Médiateur, en coordination avec le maire de la ville d’Atacames et le ministère de la Culture, a notamment remis une plaque de mémoire aux victimes de l’affaire Casierra, dont les membres ont subi des violations des droits par des éléments de l’État équatorien en 1999, “à titre de réparation symbolique et de mesure digne”.

Cette loi comprenait également dans ses dispositions générales d’autres mesures qui n’ont pas été réalisées, telles que la création d’un musée de la mémoire sur le site où le SIC-10 a opéré à Conocoto.

prise en compte des violences sexuelles

Le mandat de la CVE fait expréssément référence aux violences sexuelles dans son préambule : “L’article 23, paragraphe 2 de la Constitution interdit les peines cruelles, la torture, les traitements inhumains ou dégradants ou les traitements impliquant une violence physique, psychologique ou sexuelle ou une contrainte morale. Ce même article de la Constitution établit que l’État adopte les mesures nécessaires pour éliminer et sanctionner, en particulier, la violence à l’égard des femmes.”

La CVE consacre une partie du Tome 1 de son rapport final à la “Violence sexuelle et l’approche basée sur le genre” (pages 251 à 318).  “Ce chapitre documente les modèles de violence sexuelle. Elle examine d’abord de manière critique l’expérience d’autres commissions vérité en termes d’intégration de la dimension de genre. Dans la deuxième partie, le chapitre examine les contributions de la justice de genre et de la justice des femmes qui élargissent la conception des droits de l’homme et situent la violence sexuelle comme un crime et une violation des droits en soi, ainsi qu’une pratique de la torture. Ensuite, les types de violence sexuelle et les modèles de violation des droits de l’homme sont analysés dans une perspective de genre.”

La Commission déclare que “en termes de violence sexuelle, 86 victimes ont été signalées, dont 58 personnes, soit 67% du total national, sont concentrées dans les années 1985, 1986 et 1987.”

Les violences sexuelles étaient de diverses natures : 

Source : Rapport de la Commission Vérité, Sin Verdad no hay Justicia, Tome 1, « Violaciones de los derechos humanos », Equateur, 2010, p. 266, traduit de l’espagnol. 

La Commission s’est également interrogé sur le profil des victimes : “il convient de noter que 61% d’entre elles étaient membres d’une organisation au moment des faits, trois sur quatre de ces personnes ayant une appartenance organisationnelle étant membres de l’organisation politico-militaire Alfaro Vive Carajo (75%), tandis que 38% des victimes de toutes les violations des droits de l’homme enregistrées appartenaient à cette organisation, ce qui montre une plus grande fréquence des violences sexuelles. Près de la moitié des détenus accusés d’être membre de l’organisation politico-militaire Alfaro Vive Carajo qui ont témoigné devant la commission ont subi une forme de violence sexuelle.”

Par ailleurs, la Commission note une corrélation entre :

– d’une part, les violences sexuelles et d’autres formes de répressions : “La violence sexuelle était liée à des actes de persécution ou de harcèlement. 60,5 % des personnes ayant subi une forme de violences sexuelles ont subies directement, ou leur famille, des actes de harcèlement, les plus fréquents étant le suivi ou la surveillance (69,2% du total du harcèlement), le harcèlement sur le lieu de détention et les menaces (17,3%).”

d’autre part, les violences sexuelles et d’autres formes de torture : “La violence sexuelle était également associée à d’autres formes de torture, notamment les coups (79,1), la torture électrique (58,1 %), la pendaison (38,4 %), le waterboarding (23,3 %) et des formes fréquentes de torture psychologique comme les menaces de mort (67. 4 %), encagoulage (65,1 %), privation de sommeil et de repos (50 %), menaces envers les membres de la famille (38,4 %), insultes et humiliations (33,7 %), assister à la torture d’autrui ou l’écouter (32,6 %), isolement cellulaire (31,4 %), privation d’hygiène (31,4 %) et mort simulée (24,4 %).’

Après avoir détaillées et expliquées les violences sexuelles les plus emblématiques de cette crise équatorienne, telles que la nudité forcée, les cérémonies de dégradation ou encore les actes de torture durant la maternité, la Commission expose un panorama des conséquences des violences sexuelles. Elle dénonce notamment la complexité de dénonciation par les victimes, les atteintes à l’identité, la stigmatisation et le silence, les problèmes de santé, ainsi que les impacts sur la sexualité et sur la parentalité. 

La Commission évoque également les violences sexuelles dans ses conclusions : “La pratique de la violence sexuelle a touché 18% du nombre total de victimes. Tant au cours de la période 1984-1988 qu’entre 1989-2008, la violence sexuelle a été une pratique de torture, en particulier dans des contextes de détentions arbitraires : dans la première période, de nombreux cas étaient le reflet des politiques de terreur mises en œuvre à l’égard des militants des organisations armées de gauche et de leurs familles, et dans la seconde, comme un modèle moins généralisé à l’égard d’autres secteurs sociaux.”

Pour finir, la Commission fait de nombreuses recommandations expresses concernant les violences sexuelles : 

– “Une attention particulière dans les cas de violence sexuelle doit être accordée à la prévention de la violence sexuelle, la prise en charge psychosociale et les soins de santé interdisciplinaires, immédiats et spécialisés pour les victimes de violence sexuelle.”

– “Les normes existantes en matière de prise en charge intégrale de la violence sexiste doivent être diffusées auprès des institutions qui s’occupent de populations telles que les enfants et les adolescents, les experts médico-légaux qui interviennent dans les affaires judiciaires, etc.”

– “Dans les cas de violation des droits de l’homme par des agents de l’État, la connaissance de ces normes, la prévention et l’évaluation des violences sexuelles sont obligatoires dans les centres de détention. Une plus grande coordination entre les secteurs de la justice, de la police et de la santé est nécessaire pour la prévention et la prise en charge de ces cas.”

– “Former un corps de professionnels spécialisés inscrits au Conseil de la magistrature pour réaliser des expertises médico-psychologiques en utilisant des protocoles spécialisés, notamment le protocole d’Istanbul, pour la détermination de la torture et des violences sexuelles.”

– “Demander au bureau du procureur général de fournir aux victimes de violences sexuelles, ainsi qu’aux enfants victimes de crimes, une prise en charge psychosociale pendant la procédure judiciaire, en établissant un entretien unique sur les faits de ces affaires.”

– “Redéfinir un protocole d’enquête sur les violences sexuelles conforme aux normes internationales, comme le protocole d’Istanbul, qui permet au bureau du procureur général d’évaluer l’hypothèse de la survenue de violences sexuelles avant le meurtre et dans lequel l’expertise psychologique est prise en compte comme preuve des violences sexuelles.”

– “Pour les personnes ayant subi des violences sexuelles, il est recommandé qu’elles reçoivent entre quatre-vingts (17 500 USD) et cent trois (22 500 USD) salaires de base unifiés, en fonction du type de violence sexuelle.”

– “Incorporer dans les programmes de formation des forces armées, de la police nationale et des forces de sécurité des contenus sur la prévention de la violence sexuelle et sexiste, et leurs actions dans les cas impliquant des enfants et des adolescents.”

– “Promouvoir une réforme pénale qui criminalise de manière adéquate et complète les crimes de violence sexuelle et autres crimes fondés sur le genre, y compris le viol, les autres actes d’abus sexuels, l’esclavage sexuel et la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée, la nudité forcée, les mutilations sexuelles, le mariage ou la cohabitation forcés, la servitude domestique ou l’esclavage, la persécution fondée sur le genre, le harcèlement sexuel, la traite à des fins d’exploitation sexuelle, ainsi que d’autres comportements de gravité comparable. Il est recommandé que l’incrimination couvre la commission de ces crimes dans le contexte d’un conflit armé, ainsi que les crimes contre l’humanité. Il est également recommandé de les inclure lorsque les comportements sont commis dans la sphère familiale ou domestique, au travail, dans les hôpitaux, dans l’enseignement et dans les prisons. Dans les cas appropriés, inclure comme circonstance aggravante le fait que le comportement ait été perpétré par un agent de l’État.”

– “Réformer le droit de la procédure pénale afin d’y incorporer des mesures qui garantissent la confidentialité de la procédure – dans les cas de violence sexuelle et de crimes touchant les enfants et les adolescents – et des mesures visant à éviter la confrontation des victimes de crimes sexuels avec leur agresseur, pour lesquelles il est recommandé d’utiliser des mécanismes tels que le témoignage à huis clos, le témoignage enregistré au préalable ou le témoignage par caméra Gesell.”

– “Incorporer dans la législation pénale la possibilité d’accepter l’expertise psychologique comme moyen de preuve des violences sexuelles, ainsi que d’autres normes de preuve envisagées dans le Protocole d’Istanbul sur la torture. 136 Dépénaliser l’avortement dans les cas où la grossesse est le résultat de violences sexuelles, lorsque la vie ou la santé de la femme est en danger ou lorsqu’il existe une malformation grave du fœtus incompatible avec une vie hors de l’utérus.”

Documents complémentaires

Médiathèque audiovisuelle

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