Colombie

Commission de Vérité

Ayant obtenu son indépendance en 1819, la Colombie continua pendant plusieurs décennies à fonctionner sur le modèle colonial espagnol, c’est-à-dire en monopolisant et en exploitant les ressources naturelles du pays à outrance. La terre n’échappa pas à cette règle et les haciendas, grandes exploitations agricoles aux mains de riches propriétaires terriens ne furent pas redistribuées. C’est ainsi que de nombreux paysans se retrouvèrent lésés et fragilisés. C’est pourquoi un bon nombre de ces travailleurs, désirant un changement de paradigme, se tourna vers le communisme, qui prônait un partage équitable des ressources, ce qui était aux antipodes du pouvoir de l’époque. Ces mêmes paysans, n’obtenant pas les réformes agraires qu’ils désiraient, prirent donc plusieurs haciendas par la force et se les partagèrent entre 1930 et 1940. Ils fondèrent donc des communautés autonomes et dissidentes que le gouvernement ne pouvait tolérer. La réponse étatique ne se fit pas attendre et plusieurs militants furent tués entre 1945 et 1948. Le gouvernement lança, par ailleurs, une offensive de plus grande envergure pour reprendre les zones autonomes qui avaient été créées. En réaction, des groupes d’autodéfense s’organisèrent selon une structure militaire. Les tristement célèbres Forces armées révolutionnaires de la Colombie (FARC) en sont le produit même. En effet, en vue de financer leur lutte clandestine, les FARC n’eurent aucun scrupule à utiliser de techniques violentes comme l’enlèvement contre rançon, le trafic de drogues, etc. En outre, ils accaparèrent nombreux territoires indigènes, assassinèrent de nombreux « opposants », et utilisèrent le viol pour perpétuer la peur. Ayant fait plus de 8 millions de victimes (7,5 millions de déplacés, 260 000 morts et plus de 80 000 disparus), les FARC furent l’un des plus grands groupes terroristes du pays. Déstabilisant la Colombie pendant près d’un demi-siècle, ce conflit prit fin avec la signature des Accords de paix entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et Rodrigo Londoño, le nouveau leader des FARC en août 2016. A l’issue des négociations, c’est un système complexe qui fut mis sur pied. L’accord comprend, en effet, plusieurs mécanismes de justice transitionnelle parmi lesquels figurent une Commission vérité et une Unité spéciale dédiée à la recherche des personnes disparues.

La Commission de Vérité de Colombie a été établie en 2017 jusqu’à novembre 2021, afin d’enquêter sur les violations graves des Droits de l’Homme s’étant produites pendant la période de conflit avec les FARC apparu dans les années 1960.

chronologie

1948-1957 : assassinat du libéral de gauche, Eleicer Gaitán candidat à la présidence, ce qui provoque de sanglantes émeutes à Bogota. Début de la guerre civile « la Violencia ».

1957-64 : des groupes d’autodéfense paysanne se constituent en « républiques indépendantes » (haciendas occupées) dont celle de Marquetalia. Les forces armées les détruisent en 1964. Conséquemment, sont créés l’Armée de libération nationale (ELN), inspirée de la révolution cubaine, et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), d’inspiration pro-soviétique, par des anciens membres de la République de Marquetalia.

1967 : création de l’Armée populaire de libération (EPL), maoïste.

1973 : création du Mouvement révolutionnaire 19 avril (M-19), populiste de gauche qui choisit la guérilla urbaine.

Années 70 : début des assassinats de centaines de militants des droits de l’homme, de représentants syndicaux par des groupes paramilitaires d’extrême-droite, créés pour combattre la guérilla.

1982-84 : Belisario Betancur est élu président. Il entame des négociations de paix et promulgue une amnistie sans condition de remise d’armes.

1985 : fondation par les FARC d’un parti politique « l’Union Patriotique » dit UP (composé du Parti communiste et d’eux-mêmes) en vue des élections. Refus du gouvernement et reprise des armes, notamment du M-19 qui prendra en otage le Palais de Justice, acte qui fera des centaines de victimes. Dans les années qui suivent, des milliers d’adhérents de l’UP sont assassinés.

1990 – 1991 : commence l’autofinancement des groupes armés grâce au trafic de coca et aux enlèvements contre rançon qui se multiplient. Le M-19 se démobilise et participe à l’élaboration de la nouvelle Constitution de 1991.

1996 : intensification des opérations armées des FARC.

1997 : en réaction, unification des groupes paramilitaires. Création des Autodéfenses unies de Colombie (AUC). La guerre entre les deux factions armées s’intensifie.

1998-2002 : élection d’Andrés Pastrana à la présidence. Il entreprend des négociations avec les FARC et annonce la démilitarisation d’une zone de 42 000 km² dans le sud du pays pour négocier la paix. Signature du « Plan Colombie » avec les Etats-Unis pour lutter contre le narcotrafic, mais les négociations de paix prennent fin car les FARC sont suspectées de profiter des négociations pour se réarmer et reprendre le contrôle de la zone démilitarisée. Après la rupture des négociations, les FARC multiplient les enlèvements dans l’espoir de pouvoir échanger les otages contre des guérilleros emprisonnés ou obtenir des faveurs de l’Etat. Élection d’Alvaro Uribe en mai 2002. Il lance une offensive militaire contre les FARC.

2003-2006 les mesures de renforcement de l’armée portent des coups sévères à la guérilla et permettent à l’Etat de reprendre le contrôle des grands axes routiers dans les zones en guerre. Le gouvernement d’Alvaro Uribe signe également un accord très controversé de démobilisation avec les AUC (malgré les quelque 30 000 assassinats qu’ils ont commandités depuis les années 1980) via l’adoption de la loi « Justice et paix ». Découverte et médiatisation de liens étroits entre parlementaires et paramilitaires. Scandale politique. Procès de leaders des AUC, mais en échange d’aveux, les peines sont fortement réduites.

2007 : une vague d’assassinats cible les paramilitaires.

2008 :  mort du commandant et du vice-dirigeant des FARC.

2010 : élection de Juan Manuel Santos à la présidence. Le commandant militaire des FARC, Mono Jojoy, est tué en septembre.

2012 : Santos annonce le 4 septembre l’ouverture d’un nouveau processus de paix. Débuts de nouvelles négociations à La Havane, en présence de représentants des FARC et du gouvernement colombien. Annonce de l’arrêt des prises d’otages.

2014 : réélection du président Juan Manuel Santos et annonce d’un cessez-le-feu illimité de la part des FARC.

2015 :  rupture de la trêve par les FARC suite à une prétendue attaque de l’un de ses camps par l’armée.

2016 : en présence du secrétaire général de l’ONU et de plusieurs présidents de pays voisins, les FARC et le gouvernement tombent d’accord sur le dernier point des pourparlers, à savoir la fin du conflit armé qui prévoit un cessez-le-feu bilatéral, la fin des hostilités, et le désarmement des FARC. Signature officielle à Carthagène de l’accord de paix le 26 septembre. Accord rejeté par le peuple colombien lors d’un référendum le 2 octobre. En novembre, un nouveau traité de paix est signé à Havane. 56 propositions sur 57 sont remaniées. Le volet politique est maintenu : les guérilleros pourront entrer au gouvernement en échange d’informations sur les réseaux de trafic de drogue.

2017 : élection d’Ivan Duque à la présidence en mai. Achèvement du désarmement total des FARC par l’ONU en juin. Mise sur pied de la Commission Vérité (bien que l’ELN n’a toujours pas rendu les armes et continue ses exactions, notamment à la frontière vénézuélienne).

La commission en détails

Création : décret 588 du 5 avril 2017

Dissolution :  prévue pour novembre 2021

Composition : 11 membres

Président : Francisco de Roux
Commissaires : Ajendra Miller, Alejandro Valencia Villa, Alejandro Castillejo, Marta Ruiz, Leyner Palacios Asprilla, Carlos Martín Beristain, Lucía González, Carlos Guillermo Ospinan, María Patricia Tobón Yagarí, Saúl Alonso Franco. Anciens membres :  Alfedro Molano (décédé) et Ángela Salazar (également décédée).

La CV comprend un président, porte-parole de commissaires, eux-mêmes chargés d’enquêter sur les violations des droits de l’Homme. Elle dispose également d’un secrétariat général, en charge de la gestion budgétaire, administrative et du soutien technique aux commissaires. Un comité de suivi et de contrôle de la mise en œuvre des recommandations de la CV sera mis en place à la suite de la publication de son rapport final.

Remarque : le Président et les commissaires sont élus par le comité de sélection établi à l’article 7 transitoire de l’Acte législatif 01 de 2017, pour exercer leurs fonctions pour un mandat de trois ans.

Mandat : la CV a pour mandat d’enquêter et de reconnaître les responsabilités collectives de l’État, y compris le gouvernement et les autres autorités publiques, des FARC-EP, des paramilitaires, ainsi que de tout autre groupe, national ou international, qui a eu une certaine implication dans les violations massives des droits de l’homme, notamment l’impact sur les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux, sur l’exercice de la politique et le fonctionnement de la démocratie. L’enquête doit également faire lumière sur le développement du para-militarisme, de la relation entre le conflit et la culture/production/commercialisation de drogue et les conséquences des déplacements forcés et de la dépossession des terres sur la population colombienne.

Compétences :

I. Enquêter sur toutes les composantes de son mandat en mettant l’accent sur le genre (création d’un groupe de travail sur le genre), et en tenant compte des efforts antérieurs de construction de la vérité, y compris comme contribution de base, entre autres, les rapports de la Commission historique sur le conflit et ses victimes.

II. Créer des espaces au niveau international, national, régional et territorial pour préparer des audiences publiques, afin d’écouter tout un chacun et de contribuer à une réflexion commune sur ce qui s’est passé en Colombie. Ils devraient ainsi contribuer à la connaissance de la vérité et à la coexistence pacifique entre les territoires.

III. Produire un rapport final qui tienne compte des différents contextes, qui reflète les enquêtes sur toutes les composantes du mandat et qui contienne les conclusions et recommandations de ses travaux, y compris les garanties de non-répétition. La CV présentera officiellement le rapport dans un acte public aux pouvoirs publics et à la société colombienne.

IV. Concevoir et mettre en œuvre une stratégie de reconstruction active, incluant la participation des victimes, mais aussi d’ONG, dans une logique de coopération territoriale.

V. Mettre en œuvre une stratégie de diffusion de ses progrès avec les médias durant son fonctionnement pour assurer la plus grande participation possible de la société civile (1 rapport d’avancement sera publié tous les six mois).

VI. Adopter des mesures pour l’archivage des informations recueillies dans le cadre de ses fonctions et, à la fin de son mandat, prendre les mesures nécessaires pour en assurer la conservation. La CV définira l’entité qui sera le dépositaire et le gardien de ses archives.

conclusions & recommandations

Le rapport final n’a pas encore été publié. Cependant, plusieurs rapports intermédiaires l’ont été. Cliquez-ici pour y avoir accès (connaissance de l’espagnol requise). Voici un récapitulatif du dernier rapport d’avancement datant de décembre 2020 :

Avancées des actions en cours

Entre juin et décembre 2020, 3877 entretiens ont été réalisés dont 1 516 avec des personnes autochtones.

Au total, 10 004 entretiens ont été retranscrits et, à ce jour, la Commission a écouté 22 816 personnes.

En 2020, 243 événements ont été diffusés par l’intermédiaire du site web de la Commission européenne et les réseaux sociaux de la Commission et de ses partenaires. Près d’un million de personnes ont suivi lesdits évènements en direct et plus de 4,6 millions en replay.

La collection  Futuro en Tránsito  ainsi qu’une collection de 13 livres de poche comprenant 39 essais écrits ont été édité. Pour chaque livre, 10 000 exemplaires ont été imprimés soit 130 000 au total.

Avancée des recommandations

La Commission travaille avec 1459 collaborateurs dont 395 organisations et plateformes sociales, 307 institutions publiques, 295 universités à travers le monde, 162 médias et 20 entreprises (19 sont issues de la sphère politique).

Des recommandations ont été tirées de l’expérience de la Sierra Leone, des réunions avec Eduardo González (expert dans d’autres commissions vérité), des réunions avec des experts sur les questions de terre et de dépossession (Luis Jorge Garay, Absalón Machado et Ana María Ibáñez), des réunions avec l’Unité de restitution des terres, des réunions avec le Bureau des femmes rurales, des réunions avec l’Institut géographique Agustín Codazzi (IGAC), des réunions avec la Surintendance des notaires et du registre et des réunions avec des magistrats de justice et paix.

Deux stratégies territoriales ont été mises en œuvre pour la collecte des recommandations de non-répétition par les citoyens : la botte de l’espoir dans l’Eje Cafetero et la vérité comme bien public dans l’Urabá.

mesures post-recommandations

Étant donné que la Commission n’a toujours pas terminé son mandat, ce volet ne peut être encore examiné.

la prise en compte des violences sexuelles

Un comité sur le genre a été créé. Il possède une expertise dans les domaines suivants : (1) Expérience et connaissance de la violence sexiste ; (b) Expérience et connaissance du conflit armé et de ses effets différenciés et disproportionnés sur les femmes et les personnes ayant des orientations sexuelles et des identités de genre diverses. Cliquez-ici pour voir le dernier rapport en date de 2019 sur les violences basées sur le genre (compréhension de l’espagnol requise). La rubrique  du site de la Commission dédiée aux études de genre est également disponible ici pour des informations plus à jour.

Documents complémentaires

Médiathèque audiovisuelle

A voir aussi