Sierra Leone

Commission Vérité et Réconciliation

Le 23 mars 1991, le Front révolutionnaire uni (RUF), avec le soutien du Front national patriotique du Libéria (NPFL), a tenté de renverser le gouvernement de Joseph Momoh. C’est le début d’une guerre civile extrêmement violente qui durera 11 ans. Durant ce conflit de nombreuses violations des droits de l’homme ont été commises, telles que le massacre de civils, l’enrôlement de soldats mineurs et des violences sexuelles. Cette guerre civile ne prendra réellement fin qu’en 2002. 

Le 7 juillet 1999, sont signés les Accords de Lomé qui prévoient l’arrêt des combats et la création d’une Commission Vérité et Réconciliation.  Cette Commission avait pour fonction d’enquêter sur les violations des Droits de l’Homme commises en Sierra Leone pendant la guerre civile. Son rapport final fut présenté en 2004.

Chronologie

1991 : Le RUF, groupe armé fondé par Foday Sankoh, attaque la ville de Bomaru, située près de la frontière nord avec le Libéria, avec  le  soutien  de  Charles  Taylor,  chef  du  Front  Patriotique  National  du  Libéria.

1992 : Le président, Joseph Saidu Momoh, en fonction depuis 1985, est renversé par un Coup d’État du National Provisional Ruling Council (NPRC) dirigé par le Capitaine Valentine Strasser. Ce dernier est alors placé au pouvoir. Malgré des ambitions initialement communes, le NRPC et le RUF ne créent pas d’union. Le RUF est repoussé au Libéria. 

1993 : Suite à des pressions internationales, Valentine Strasser consent à organiser des élections d’ici la fin de l’année 1995.

1995 : Le RUF est de retour en Sierra Leone et mène des attaques. Il se rapproche rapidement de Freetown. En réponse, le gouvernement demande une aide extérieure. Il fait notamment appel à des sociétés militaires privées dont Executive Outcomes et les Kamajors. Le gouvernement s’attache particulièrement à la protection des mines de diamants contre le RUF. 

1996 : Un nouveau Coup d’État a lieu et Julius Maada Bio prend le pouvoir. Il entame directement des négociations avec le RUF.

1996 : Des élections sont organisées et portent Ahmad Tejan Kabbah, chef du Parti du peuple de Sierra Leone (SLPP), au poste de Président de la République.

1996 : Le nouveau gouvernement et le RUF se rencontrent et signent des accords de paix à Abidjan, le 30 Novembre 1996. Le RUF est converti en parti politique et est désarmé. Tous les combattants du RUF sont amnistiés.

1997 : Foday Sankoh, homme à la tête du RUF, est arrêté au Nigeria pour détention d’une arme à feu. En réponse, le RUF déclenche des attaques dans toute la Sierra Leone.

1997 : Le 25 Mai,  par un coup d’Etat, l’AFRC (Armed Forces Revolutionary Council) prend le pouvoir. Rapidement, le RUF et l’AFRC s’allient pour diriger le pays. Au niveau national, régional et international, des actions sont mises en place contre ce nouveau pouvoir :
Des forces armées s’organisent pour résister contre le RUF et l’AFRC, appelées Civil Defense Forces (CDF).
– La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), donne un mandat à son groupe militaire d’intervention, dit l’ECOMOG, pour rétablir le président élu, Ahmad Tejan Kabbah, au pouvoir.
– Le Conseil de sécurité des Nations unies vote à l’unanimité un embargo sur le pétrole et les armes à destination de la Sierra Leone.

1997 : Suite aux pressions, le 23 octobre, le RUF signe l’accord de Conakry. Ce document prévoit le retour au pouvoir d’Ahmad Tejan Kabbah en avril 1998. Finalement, dès le 12 février 1998, le RUF et l’AFRC sont chassés du pouvoir par l’ECOMOG. Le gouvernement d’Ahmad Tejan Kabbah est officiellement rétabli le 10 mars.

1998 : La Mission d’observation des Nations unies en Sierra Leone (MONUSIL) est créée pour veiller au désarmement des anciens combattants, à la bonne exécution de l’action humanitaire et au respect des droits de l’homme.

1998 : Foday Sankoh est condamné à la peine de mort. Le colonel Sam Bockarie, nouveau chef du RUF, menace de représailles si cette sanction est mise en œuvre. 

1999 : En janvier, le RUF attaque violemment la capitale, Freetown, suite à l’opération surnommée “No Living Things” (en français, « plus rien de vivant »). 

1999 : Les accords de Lomé sont signés le 7 juillet. Ils prévoient une amnistie des crimes antérieurs, la libération de Foday Sankoh, l’entrée du RUF dans le gouvernement en tant que parti politique et la Création d’une Commission vérité et réconciliation. 

1999 : Le Conseil de sécurité des Nations unies crée la Mission des Nations Unies en Sierra Leone (MINUSIL)  par la résolution 1270. Elle a pour objectif de garantir le respect des accords de Lomé.

2000 : La Commission vérité et réconciliation est officiellement créée. 

2000 : Le RUF prend en otages 500 casques bleus de la MINUSUSIL durant 25 jours en contestation des accords de Lomé et pour empêcher le redéploiement de casques bleus près des mines de diamants. 
En réponse, la Grand Bretagne déclenche l’opération Palisser. Venue officiellement pour évacuer les ressortissants de l’Union européenne et du Commonwealth, les forces spéciales britanniques s’engagent dans la lutte contre le RUF. 

2000 : Un cessez-le-feu est signé à Abuja entre le gouvernement et le RUF.

2002 : Création officielle du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL). 

2004 : La Commission vérité et réconciliation présente son rapport. 

2013 : Le TSSL est dissolu et est remplacé par le Tribunal résiduel spécial pour la Sierra Leone.

La commission en détails

Création : Juillet 2002. 

Dissolution : 5 octobre 2004. 

Base juridique : Article XXVI des Accords de Paix de Lomé et Loi Commission Vérité et Réconciliation du 22 février 2000, Section 6 (1).

Composition : La  Section  3  (1)  de  la  loi  relative  la  CVR  prévoit  que  la  Commission  serait composée  de  7 membres, dont 4 commissaires nationaux et 3 commissionnaires étrangers. Les commissaires sont nommés par le Président. Le président et le vice président sont nommés par le Président parmi des personnes recommandées par le Représentant Spécial du Secrétaire Général pour la Sierra Leone et du Haut Commissaire aux Droits de l’Homme. 

Membres citoyens de la Sierra Leone : Bishop Joseph Christian Humer (Président) ; Hon Justice Laura Marcus-Jones (Vice-Président) ; Ajaratu Satang Jow ; John Kamara. 

Membres étrangers : William Schabas ; Yasmin Louise Sooka ; Sylvanus Torto.

Mandat : “Créer un rapport historique et impartial sur les violations et les abus des droits de l’homme et du droit international humanitaire liés au conflit armé en Sierra Leone, depuis le début du conflit en 1991 jusqu’à la signature de l’accord de paix de Lomé ; lutter contre l’impunité, répondre aux besoins des victimes, promouvoir la guérison et la réconciliation et empêcher la répétition des violations et des abus subis.”

Compétences :

– Enquêter sur les causes, la nature et l’étendue des violations et abus des droits de l’homme ;

– Déterminer le contexte dans lequel les violations et abus se sont produits, la question de savoir si ces violations et abus étaient le résultat d’une planification, d’une politique ou d’une autorisation délibérée de la part d’un gouvernement, d’un groupe ou d’un individu, et le rôle des facteurs internes et externes dans le conflit ; 

– Œuvrer pour aider à restaurer la dignité humaine des victimes et promouvoir la réconciliation en donnant l’occasion aux victimes de rendre compte des violations et abus subis et aux auteurs de raconter leurs expériences, tout en créant un climat qui favorise un échange constructif entre les victimes et les auteurs, en accordant une attention particulière au sujet des abus sexuels et aux expériences des enfants dans le cadre du conflit armé ; 

– Rendre un rapport de ses travaux au Président à la fin de ses activités. Ce rapport doit résumer les conclusions de la Commission et formuler des recommandations concernant les réformes et autres mesures, qu’elles soient juridiques, politiques, administratives ou autres, nécessaires à la réalisation de l’objet de la Commission.

Conclusions et recommandations

Le 5 octobre 2004, le rapport final est présenté au Président Ahmed Tijan Kabbah. Par la suite, le 27 octobre 2004, le rapport final de la Commission a été remis aux Nations Unies et officiellement publié. 

 

Conclusions :

– “Le conflit et la période post-indépendance qui l’ont précédé représentent les années les plus honteuses de l’histoire de la Sierra Leone. Ce conflit reflète un échec extraordinaire des dirigeants au sein du gouvernement, de la société et du public.”

– Le RUF est responsable du plus grand nombre de violations des droits de l’homme pendant le conflit. L’AFRC prend la deuxième place s’agissant du plus grand nombre de violations. L’ALS et les CDF se sont vu attribuer, respectivement, les troisième et quatrième taux de violations les plus élevés.

– Les déplacements forcés, les enlèvements, les détentions arbitraires et les meurtres étaient les violations les plus courantes. 

– La cause centrale de la guerre est “la cupidité endémique, la corruption et le népotisme qui ont privé la nation de sa dignité et réduit la plupart des gens à un état de pauvreté”.

– Les parties au conflit visaient spécifiquement les civils.

– La Commission a dénombré 40 242 victimes. 

 

Recommandations : 

La Commission a fait de nombreuses recommandations que l’on peut retrouver énumérées dans le Chapitre 3 du Volume 2 de son Rapport final. Elle recommande notamment :

– Pour la protection des droits humains : Consacrer la dignité comme un droit fondamental dans la Constitution ; Interdire la peine de mort ; Créer une Commission nationale de l’homme (HRC)… 

– S’agissant des femmes : Le gouvernement et les factions en conflit doivent présenter des excuses complètes et franches aux femmes pour les abus subis pendant la guerre ; Ratifier le Protocole de la Charte africaine des droits des femmes…

– Pour les enfants : Adopter des lois interdisant le trafic et l’exploitation sexuelle d’enfants ; Inciter les enfants à poursuivre leurs études et sanctionner le fait de ne pas mettre son enfant à l’école primaire…

– Pour la réconciliation : Les dirigeants nationaux et politiques doivent reconnaître leurs torts, reconnaître la souffrance et présenter des excuses aux victimes ; Créer la journée nationale de la paix, le 18 janvier de chaque année… 

– Pour les réparations : Mettre en place des soins de santés gratuits et une pension mensuelle pour les personnes amputées, blessés ou victimes de violences sexuelles ; Initier des réparations symboliques comprenant des les événements de commémoration, des réinhumations symboliques et des mémoriaux…

– Pour le suivi des recommandations : Établir un comité de suivi comprennant au moins quatre représentants de la  société civile dont un jeune et une femme ; Publier des mises à jour trimestrielles et un rapport annuel…

Mesures post Recommandations

De nombreuses critiques sont dirigées contre le manque de mise en œuvre des recommandations de la Commission. Les recommandations les plus importantes, visant à établir une paix durable, ne sont pas prises en compte. 

Nous pouvons tout de même évoquer la création d’une unité de réparation au sein de la Commission nationale pour l’action sociale qui a permis que chaque survivant enregistré (33 863 au total) reçoive un paiement provisoire de 100 USD en attendant qu’une réparation plus complète puisse être accordée.

Prise en compte des violences sexuelles

Le mandat de la Commission prévoit expressément dans son article 6.2.(b) le devoir de restauration de la dignité des victimes et la nécessité de porter une attention particulière aux victimes de violences sexuelles. La question des femmes dans la guerre civile sierra léonaise fait donc l’objet d’un chapitre entier du Rapport (Volume 3, Chapitre 3 : “Women and the Armed Conflict in Sierra Leone”), dans lequel les violences sexuelles sont largement abordées et dénoncées. Pour autant, la question des femmes est aussi spécifiquement abordée dans chaque partie générale du rapport. 

Dans son Résumé (Volume 2, Chapitre 1 du Rapport final), la Commission déclare que “les femmes et les filles ont été violées, contraintes à l’esclavage sexuel et ont subi d’autres actes de violence sexuelle, y compris des mutilations, des tortures et une foule d’autres traitements cruels et inhumains”. De plus, elle énonce que les principaux groupes armés accusés d’avoir perpétré des violences sexuelles contre les femmes et les filles pendant le conflit sont le Front révolutionnaire uni (RUF), le Conseil révolutionnaire des forces armées (AFRC), les Forces de défense civile (CDF), les Westside Boys et l’armée sierra-léonaise (SLA). 

Pour finir, dans ce document, la commission dénonce que “les femmes n’étaient pas en sécurité même dans ces camps, car les travailleurs humanitaires censés les protéger violaient également leurs droits. Des femmes et des jeunes filles ont été contraintes de troquer leur corps pour obtenir l’aide à laquelle elles avaient légitimement droit. Des filles âgées d’à peine 12 ans ont été contraintes d’échanger des faveurs sexuelles pour obtenir de l’aide pour leur famille”. 

Dans ses conclusions (Volume 2, Chapitre 2 du Rapport final), la Commission constate que “le RUF et l’AFRC se sont délibérément lancés dans des stratégies systématiques d’enlèvement et de viol de femmes et de filles âgées de 10 à 14 ans” et que “le viol systématique des femmes avait pour but d’humilier, de souiller et de violer les femmes, leurs familles et leurs communautés. La pratique du viol systématique a semé la terreur au sein de la population locale et a avili les normes et coutumes sociétales.”

Elle conclut également que “le RUF et l’AFRC étaient les principaux auteurs d’esclavages sexuels et de mariages forcées des femmes et des jeunes filles”, mais aussi de la stérilisation forcée. Pour autant, selon la Commission cette campagne de stérilisation n’avait d’autres buts “que de torturer et d’infliger des traitements cruels et inhumains aux femmes.’

Dans ses Recommandations (Volume 2, Chapitre 3), la Commission a fait plusieurs recommandations spécifiques pour les femmes, notamment pour celles victimes de violences sexuelles. Elle recommande notamment que soit fournis un soutien psychosocial et des services de santé reproductive aux femmes affectées par le conflit et de mettre en place une campagne nationale pour briser le silence concernant les viols et les violences sexuelles. La Commission s’attache également à la poursuite de ces violences, en recommandant que “le gouvernement travaille à l’harmonisation de la législation nationale de la Sierra Leone avec les dispositions contenues dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale en ce qui concerne la charge de la preuve, les règles de procédure et les preuves en ce qui concerne les crimes de violences sexuelles”. 

L’article 7.(4) de la Loi sur la Commission Vérité et réconciliation prévoit la mise en place de procédures spécifiques pour ces victimes. En pratique, un jour par semaine était réservé aux témoignages des femmes victimes de violences sexuelles. Leurs déclarations étaient reçues dans des sessions à huis clos, en présence des membres féminins et du personnel de la Commission. Mais fréquemment, les femmes qui avaient été victimes de violences sexuelles insistaient pour témoigner publiquement. 

Documents complémentaires

Médiathèque audiovisuelle

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