Côte d’Ivoire

Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation

Depuis les années 1990, la Côte d’Ivoire fait face à une forte instabilité politique. Cette crise politique a atteint son apogée au lendemain du second des élections présidentielles de 2010. De violents conflits ont éclaté à l’intérieur du pays. Les populations sont la cible de graves violations des droits humains, de nombreuses pertes humaines sont enregistrées et près d’un million de personnes sont contraintes à l’exode. 

Dès la fin de la crise post-électorale, le président Alassane Ouattara crée la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, par l’ordonnance n° 2011·167 du 13 juillet 2011, chargée de faire la lumière sur les violations des droits humains et d’œuvrer au rétablissement de la cohésion sociale. Le rapport final a été remis au Président de la République le 16 décembre 2014.

Chronologie

1995 : Élections présidentielles. Les deux candidats favoris, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, qui s’étaient alliés dans un même parti, le Front Républicain, sont écartés du scrutin. Des manifestations violentes éclatent pour dénoncer le manque de transparence. Elles font une dizaine de morts. Henri Konan Bédié, qui assurait l’interim suite au décès du Président précédent, remporte l’élection avec 96,16 %. Le taux d’abstention est de 43,80 %. 

1999 : 1 an avant la fin du mandat du Président Henri Konan Bédié, une mutinerie se déclenche dans les casernes militaires, qui se transforme en coup d’Etat. Le Président est contraint de s’exiler. 

2000 : Élections présidentielles. La Cour suprêmeinvalide de nombreuses candidatures dont celles de M. Alassane Ouattara et de M. Henri Konan Bédié. Des émeutes éclatent face à une répression sanglante. De violents affrontements ont lieu dans tout le pays, et principalement dans la capitale. Malgré les tensions, M. Laurent Gbagbo est investi président de la République le 26 octobre. Le 28 octobre, un charnier de 57 cadavres est découvert. 

La même année, la candidature d’Alassane Ouattara est encore invalidée pour les élections législatives. De nombreuses et violentes manifestations éclatent de nouveau à Abidjan. 

2002 : La justice ivoirienne délivre un certificat de nationalité à M. Alassane Ouattara, lui permettant de se porter candidat aux élections ivoiriennes.

2002 : Une tentative de coup d’État se transforme en un soulèvement armé. Un accord de cessation des hostilités est finalement signé en octobre. Le pays est coupé en deux : la zone Nord, administrée par les Forces nouvelles, et la zone Sud sous administration gouvernementale. De nombreuses violations des droits humains sont enregistrées dans les deux zones, telles que des exécutions sommaires, atteintes à l’intégrité physique et à la vie, enlèvements, disparitions, déplacements forcés, violences sexuelles, destruction de biens et d’outils économiques…

De nombreux pourparlers sont engagés. Ceux-ci aboutissent au choix d’un partage de pouvoir entre les différentes parties au conflit, notamment le FPI de Laurent Gbagbo, les Forces nouvelles de Guillaume Kigbafori Soro, le RDR de Alassane Ouattara, jusqu’aux élections de 2010.

2010 : Élections présidentielles. Après un premier tour qui s’est déroulé sans encombre, des tensions émergent, notamment du fait de l’instauration d’un couvre feu, d’un manque de transparence. Le 2 décembre, la victoire de M. Alassane Ouattara est annoncée. Mais le Conseil constitutionnel, évoquant des fraudes massives, procède à l’annulation des votes dans de nombreux bureaux de la zone Nord. Cette annulation a eu pour effet d’inverser les résultats en faveur de M. Laurent Gbagbo. Suite à ce bouleversement, la Côte d’Ivoire a deux présidents de fait, M. Laurent Gbagbo et M. Alassane Ouattara.

Face à cette situation, diverses médiations internationales sont engagées, notamment par l’Union africaine et par la CEDEAO. L’échec des tentatives de règlement pacifique du contentieux conduit le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine à rendre publique sa reconnaissance de l’élection de M. Alassane Ouattara.

2011 : Un conflit armé s’engage entre les deux camps. À partir du 31 mars, la capitale est le théâtre d’affrontements meurtriers. Les populations sont la cible de graves violations des droits humains. De nombreuses personnes sont tuées ou forcées à l’exode.  Le 11 avril, le président Laurent Gbagbo est arrêté.

2011 : Dès la fin de la crise post-électorale, le président Alassane Ouattara annonce la création de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, chargée de faire la lumière sur les violations des droits humains et d’œuvrer au rétablissement de la cohésion sociale. 

2014 : Prolongation du mandat de la CDVR.

2014 : La Commission a rendu son rapport final le 16 décembre.

2016 : Le rapport final de la CDVR devient public. 

La commission en Détails

Création : 28 septembre 2011

Dissolution : 28 septembre 2014

Base juridique : Ordonnance n° 2011-167 du 13 juillet 2011 côte d’ivoire

 

Composition : Article 6

Les membres de la Commission ont été nommés par décret présidentiel. Désignés après une large consultation, ils représentent la diversité géographique, sociale et culturelle de la Côte d’Ivoire. 

Charles Konan Banny (Président) ; Sa Majesté Désiré Amon Tanoé (1er Vice-Président) ; Cheick Boikary Fofana (2ème Vice-Président) ; Mgr Paul Siméon Ahouanan (3ème Vice-Président) ; Odette Kouamé ; Françoise Offoumou-Kaudjhis ; Abdoulaye Koné ; Séry Bailly ; Marie- France Goffri ; Djégué Kané Diallo ; Didier Drogba. 

De plus, la CDVR a installé des commissions locales. Au nombre de 37, ce sont de véritables structures déconcentrées qui font, à l’échelon régional, le même travail que la Commission à l’échelon national. 

 

Mandat : œuvrer en toute indépendance à la réconciliation et au renforcement de la cohésion sociale entre toutes les communautés vivant en Côte d’Ivoire. (Art 5)

 

Compétences :

Article 5 : La CDVR a pour mission d’œuvrer en toute indépendance à la réconciliation et au renforcement de la cohésion sociale entre toutes les communautés vivant en Côte d’Ivoire.

A ce titre, elle est chargée :

– d’élaborer une typologie appropriée des violations des droits de l’homme susceptibles d’être l’objet de ses délibérations ;

– de rechercher la vérité et situer les responsabilités sur les événements sociopolitiques nationaux passés et récents ;

– d’entendre les victimes, obtenir la reconnaissance des faits par les auteurs des violations incriminées et le pardon consécutif ;

– de proposer les moyens de toute nature susceptibles de contribuer à guérir les traumatismes subis par les victimes;

– d’identifier et faire des propositions pour leur réalisation des actions de nature à renforcer la cohésion sociale, l’unité nationale ;

– d’identifier et faire des propositions visant à lutter contre l’injustice, les inégalités de toute nature, le tribalisme, le népotisme, l’exclusion ainsi que la haine sous toutes leurs formes ; d’éduquer à la paix, au dialogue et à la coexistence pacifique ;

– de contribuer à l’émergence d’une conscience nationale et à l’adhésion de tous au primat de l’intérêt général ;

– de promouvoir le respect des différences et les valeurs démocratiques.

conclusions et recommandations

La Commission a rendu son rapport final le 16 décembre 2014. Il énonce notamment les conclusions et recommandations suivantes : 

 

Conclusions : 

– La Commission a pu recueillir 72.483 dépositions de victimes, auteurs et témoins de violations : 0,51 % se réfèrent à la tranche temporelle qui va de 1990 à 1999, 36,67% aux années 2000, 2002 et 2004 et 54,75 % des années 2005, 2010 et 2011 (8,07 % des rapports d’auditions ne sont pas précis sur la période concernée).

– Les responsabilités sont partagées entre tous les acteurs politiques. La Commission déclare que “aucun des protagonistes n’est exempt de reproches, même si leurs actions‚ confligènes‚ ne sont pas toutes de la même ampleur ni de la même nature”. 

– La Commission fait 3 constats concernant les exactions commises : “1) Les exactions ont eu lieu partout en Côte d’Ivoire mais principalement à l’ouest et dans les grands centres urbains ; 2) les populations en ont souffert de la même façon quel que soit le régime en place ; 3) le bilan de ces exactions est difficile à établir”. 

– La Commission insiste pour dire que “cette réconciliation ne naîtra pas d’une génération spontanée ; elle sera, au contraire, une œuvre au long cours ; elle sera le fruit des efforts constants et répétés de toute la communauté ivoirienne”.

 

Recommandations :

Les recommandations sont regroupées en plusieurs axes thématiques. Elles comprennent notamment : 

– Concernant les causes profondes de la crise : Le renforcement de l’État de droit et l’assurance d’un meilleur fonctionnement des institutions et d’une bonne application des textes en vigueur ; la restitution et la fiabilisation des registres d’état civil ; la mise en place d’une commission de consultation nationale relative à la question de la nationalité ; Une justice accessible et équitable pour tous ; l’indépendance effective de la justice ; la diversification de la base productive de l’économie, pour multiplier les sources de revenus du pays ; L’accentuation de la sensibilisation au Genre… 

– Concernant les réparations : Les victimes doivent bénéficier de réparations individuelles (restitution, indemnisation), physiques et collectives (Programmes de réhabilitation communautaire, fourniture de services socio-économique, reconstruction d’infrastructures) ; Des réparations symboliques doivent également être mises en place (reconnaissance publique et solennelle par l’État de sa responsabilité, demande de pardon par l’État, déclarations officielles rétablissant les victimes dans leur dignité, cérémonies commémoratives pour les victimes décédées, décorations pour les cas emblématiques) ; Confier la mise en oeuvre de la politique de répartition à une institution indépendante…

– Concernant la politique : Mise en place de Journées de la mémoire et du pardon et de Journées du dialogue ; Possibilité de rémission (sous la forme de l’abandon des poursuites et de la levée du gel des avoirs) pour certains crimes…

– Concernant les réformes administratives et institutionnelles : Séparer effectivement les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ; Rendre les activités des organes de contrôle des services de l’État plus visibles et transparentes ; Bâtir une armée attachée aux valeurs d’intégrité et de respect de la morale républicaine ; Favoriser la liberté de presse par la stricte application de la dépénalisation des délits de presse ;  lutter contre la corruption et l’enrichissement illicite…

– Concernant le genre : Instituer légalement la parité aux postes de prises de décisions ; Intégrer l’égalité de genre dans l’élaboration, la mise en œuvre, l’exécution, le suivi évaluation des programmes et projets de développement dans tous les domaines ;  construire des centres psychosociaux pour la prise en charge des victimes, surtout les femmes et les enfants…

– Concernant le mémorial de la crise : Création d’un mémorial national et de mémoriaux régionaux de la paix, de la réconciliation et du souvenir ; Mise en oeuvre de festivals de mémoire annuels…

– Concernant les enfants : Enseignement de l’Instruction civique en vue du l’enracinement des valeurs citoyennes chez les enfants : citoyenneté-État-symboles ; Échanges d’écoliers inter-régions ; Mise en œuvre de jeux dédiés à la réconciliation…

– Concernant le maintien des commissions locales : Maintien des commissions locales en modifiant uniquement leurs missions dont l’appui d’un observatoire de la paix, du dialogue et de la réconciliation et la coordination des travaux au plan local de la Commission mémorial de la CDVR.

Mesures post recommandations

Suite aux recommandations de la CDVR, le gouvernement ivoirien a annoncé « la mise à disposition dès 2015 d’un fonds de 10 milliards de FCFA (environ 15 millions d’€) pour l’indemnisation des victimes » et la mise en oeuvre d’une réadaptation par une prise en charge médicale et psychologique. Plusieurs institutions ont également été créées pour la réparation des victimes comme la Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (CONARIV) et le Programme national de cohésion sociale (PNCS). 

Pour autant le processus de réparation ivoirien fait face à de nombreuses critiques ciblant le manque de prise en compte de la spécificité de certains crimes, comme les violences sexuelles, ou encore la multiplication d’institutions ayant pour conséquence de compliquer le parcours des victimes pour obtenir réparation et de disperser les moyens de l’Etat dans la prise en charge des victimes. 

Les réparations pour les victimes ont également été fortement impactées par l’acquittement en 2019, par la Cour pénale internationale (CPI), de Laurent Gbagbo et Blé Goudé. 

Peu de réparations collectives ont été mises en œuvre. Nous pouvons toutefois évoquer la création de la Journée nationale du pardon et du souvenir fixée au 16 décembre. Néanmoins ce choix de date fait l’objet de controverses car cette date fait également écho à la journée de marche des partisans du candidat Alassane Ouattara en 2010 qui  fut violemment réprimée par les forces soutenant Laurent Gbagbo. 

Pour finir, une ordonnance d’amnistie (n° 2018-669), a été adoptée le 6 août 2018, au profit des “personnes poursuivies ou condamnées pour des infractions en lien avec la crise post-électorale de 2010 ou des infractions contre la sûreté de l’État commises après le 21 mai 2011, à l’exclusion des personnes en procès devant une juridiction pénale internationale, ainsi que de militaires et de membres de groupes armés ». La légalité de cette loi est pour autant remise en cause. 

Prise en compte des Violences sexuelles

Le travail de la CDVR a englobé la question des violences sexuelles. En effet, dans sa typologie des violations, la CDVR énonce que “à l’issue des auditions et enquêtes, la CDVR a retenu les crimes suivants : les meurtres ; les disparitions ; les graves violences sexuelles ; les tortures ; les destructions des outils de production ; les pillages de biens ; les dommages physiques et psychologiques ayant conduit à un handicap total ou partiel.”

La CDVR relate que 39% des personnes auditionnées étaient des femmes, mais que “malgré ce pourcentage important, on a constaté une certaine réticence des femmes victimes à dénoncer les violations subies”. Ainsi la Commission a mis en place un dispositif spécifique afin d’impliquer les femmes dans le processus d’audition. 

La Commission déclare que des violences sexuelles ont bien été commises durant la période concernée. Le rapport comprend même un tableau recensant les dénonciations de violations basées sur le genre : 

Dans son Rapport final, des recommandations spécifiques aux violences sexuelles sont formulées. La Commission recommande :

– La mise en œuvre un programme de réparations physiques d’urgence ou de prises en charge psychologiques pour des cas spécifiques tels les victimes présentant des séquelles graves ou victimes de violences sexuelles graves. 

– Une réforme institutionnelle afin de garantir que toutes les personnes (hommes, femmes, enfants) qui ont souffert de violences sexuelles puissent obtenir une assistance médicale immédiate et un certificat leur permettant de porter plainte et d’exercer leurs droits sans coûts additionnels. 

documents complémentaires

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