Rwanda

Commission pour l’Unité Nationale et la Réconciliation

Du 6 avril au 4 juillet 1994, 800.000 Rwandais, pour la plupart Tutsis, ont été massacrés par des Rwandais, majoritairement composés de Hutus. Perpétré en 100 jours, le génocide rwandais détient le record du génocide le plus rapide de l’histoire. Pour comprendre les raisons de ce massacre, il faut remonter à l’époque coloniale où le pays était contrôlé par les Belges. En effet, ces derniers se représentaient la communauté Tutsie (constituée d’éleveurs aisés) comme supérieure à celle des Hutus (en majorité paysans). Ils instaurèrent un ordre hiérarchique qui revêtait même une dimension raciale, initialement absente chez la population locale qui partageait une culture commune. Toutefois, les Tutsis étaient mieux considérés, ce qui leur permettait d’avoir accès à une meilleure instruction et à de meilleurs postes dans l’administration belge. A l’inverse, les Hutus étaient contraints de travailler au champ et donc à ne pas pouvoir s’élever socialement. Néanmoins, à l’indépendance du pays en 1962, les rapports de forces s’inversent, notamment grâce à la supériorité numérique des Hutus. Ainsi, de nombreuses Tutsis furent contraints à l’exil par le nouveau pouvoir. Certains tentèrent de rentrer au pays, mais l’animosité hutue allant croissant, ils furent reçus par de violentes répressions. Conséquence de celles-ci, la guerre civile éclate en 1990. Néanmoins, le génocide, autrement dit le ciblage et l’exécution systématique des Tutsis fut déclenché par l’attentat contre le président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994 et dura jusqu’au 4 juillet 1994, date qui marqua la victoire militaire du Front Patriotique Rwandais, créé en 1987 par les Tutsis exilés en Ouganda. Une tentative de reconstruction civile et morale s’ensuivit alors sous le gouvernement de Paul Kagame. Ainsi, conjointement à d’autres instances judiciaires et de réconciliation, fut créée La Commission pour l’Unité Nationale et la Réconciliation du Rwanda en 1999. Prenant la forme d’un organe permanent, la Commission se doit de penser des programmes nationaux de réconciliation, d’éduquer et de sensibiliser la population à cette même thématique ainsi que de proposer des mesures visant à l’éradication du divisionnisme

Chronologie

1916 : conquête du Rwanda par les troupes belges. Instauration d’un ordre hiérarchique entre Tustis et Hutus.

1959 : révolte des paysans Hutus contre la tutelle tutsie. Plusieurs milliers de Tutsis sont massacrés. D’autres, par dizaines de milliers fuient le pays.  

1962 : indépendance du Rwanda. Les Hutus proclament la République.  

1963 : répression contre les Tutsis : près de 20 000 tués. Nouvel exode de ces derniers vers l’Ouganda, le Zaïre, le Burundi et la Tanzanie.  

1973 : Juvénal Habyarimana prend le pouvoir à l’issue d’un coup d’Etat militaire.
 
1975 : fondation du parti unique, le Mouvement républicain national pour le développement (MRND).  
 

1979 : création, au Kenya, de la Rwandese National Union (Ranu) -dominée par les Tutsis. Elle se transformera plus tard en Front patriotique rwandais (FPR), basé en Ouganda. 

1982 : le Rwanda ferme sa frontière avec l’Ouganda afin de mettre un terme au retour de réfugiés tutsis expulsés par le gouvernement ougandais.  

1990 : le FPR attaque la frontière Nord depuis l’Ouganda. Début de la guerre civile. Intervention des troupes françaises, belges et zaïroises (opération « Noroît »).

1991 : création de la Coalition pour la Défense de la République (CDR), qui rassemble les ultras Hutus. Massacre de Tutsis dans le Bugesera.

février 1993  : le FPR invoque la poursuite des tueries et le non-respect des accords d’Arusha pour déclencher une nouvelle offensive, stoppée au nord de Kigali.

juillet 1993 : cessez-le-feu. Des négociations de paix s’ouvrent à Arusha (Tanzanie) entre le pouvoir hutu et le FPR.

août 1993  : débute une campagne radio haineuse  prônant l’élimination des Tutsis. 

août-décembre 1993 : massacres organisés de Tutsis et d’opposants hutus.

janvier 1994 : blocage des accords d’Arusha en raison du refus du gouvernement provisoire d’intégrer le FPR comme parti politique.

6 avril 1994 : attentat contre l’avion des présidents du Rwanda et du Burundi, Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira. Début du génocide. Violences à Kigali puis débordement à l’extérieur de la ville.

avril-mai 1994 : les massacres prennent une ampleur considérable.

 juin 1994 : sur proposition de la France, la résolution 929 du Conseil de sécurité autorise une intervention armée humanitaire au Rwanda afin de protéger les civils. Débute l’opération Turquoise.

4 juillet 1994  : le FPR s’empare de Butare et de Kigali. La France sécurise une zone délimitée par Kibuye, Gikongoro et Cyangugu dans le sud-ouest, où se réfugient les Hutus qui fuient l’avancée du FPR.

13 juillet 1994 : exode de plus de 2 millions de rwandais fuyant l’avancée du FPR. 1,7 millions fuient à Zaire, 300 000 en Tanzanie.

17 juillet 1994 : le FPR atteint Ruhengeri et Gisenyi et déclare la fin de la guerre.

19 juillet 1994  : un gouvernement d’union nationale est formé à Kigali.

novembre  1994 : création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR).  

1999 : Création de la Commission pour l’Unité Nationale et la réconciliation du Rwanda.

mars 2000 : Pasteur Bizimungu, président depuis l’arrivée du FPR au pouvoir, démissionne. Paul Kagame lui succède à la présidence le mois suivant. 

La comission en détails

Création : 12 mars 1999

État : toujours active (durée indéterminée)

Base juridique : Loi No 03/99 du 12/03/1999 portant sur la création de la Commission pour l’unité et la réconciliation nationale

Composition: La Commission se compose d’un Conseil de commissaires composé de 12 commissaires rwandais (dont un président et un vice-président), et d’un Secrétariat permanent composé de 26 membres.

Le Conseil des commissaires

Le Président et le Vice-Président de la Commission sont nommés par le Président de la République sur proposition du conseil des Ministres. Le Président de la Commission est responsable des activités de la Commission, il dirige en particulier toutes ses réunions.

Le président :  Archevêque John RUCYAHANA
Le vice président : Xaverine UWIMANA

Les commissaires : Louis-Antoine MUHIRE, Innocent CONSOLATEUR,  Deo GASHAGAZA, Innocent RULINDA, Dawudi BISHOKANINKINDI, Thacienne DUSABEYEZU, Marie Mediatrice UMUBYEYI. 

Le secrétariat permanent

La commission est dotée d’un Secrétariat Permanent rattaché à la Présidence de la République et dirigé par un Secrétaire Exécutif ayant le rang de Secrétaire d’Etat. Il est nommé par un Arrêté Présidentiel. Le Secrétaire Exécutif de la Commission assure le rôle de Secrétaire de la Commission, supervise les activités quotidiennes de la Commission et est responsable devant la Commission à laquelle il soumet régulièrement des rapports de travail.

Elle est dirigée par:

Le secrétaire Exécutif : Fidele NDAYISABA
Le conseiller du Secrétaire Exécutif : Norbert SHYEREZO

Pour une liste exstaustive du reste des membres, cliquez-ici.

Subdivisions : Département de l’éducation civique / Département de la consolidation de la paix et de la gestion des conflits / Département de l’administration et des finances.

Mandat : Promouvoir l’unité, la réconciliation et la cohésion sociale entre les Rwandais et construire un pays dans lequel chacun a les mêmes droits et contribue à la bonne gouvernance.

Compétences :

I. Préparer et coordonner les programmes nationaux visant à promouvoir l’unité nationale et la réconciliation;

II. Établir et promouvoir des mécanismes pour restaurer et renforcer l’unité et la réconciliation des Rwandais;

III. Éduquer, sensibiliser et mobiliser la population dans les domaines d’unité nationale et de réconciliation;

IV. Effectuer des recherches, organiser des débats, diffuser des idées et faire des publications sur la promotion de la paix, l’unité et la réconciliation des Rwandais;

V. Proposer des mesures et des actions pouvant contribuer à l’éradication du divisionnisme [sic] parmi les Rwandais et renforcer l’unité et la réconciliation;

VI. Dénoncer et combattre les actions, les publications et les propos qui favorisent toute forme de division et de discrimination, l’intolérance et la xénophobie;

VII. Faire un rapport annuel et d’autres rapports jugés nécessaires, sur le niveau de réalisation de l’unité nationale et de la réconciliation;

VIII. Surveiller la manière dont les institutions publiques, les dirigeants et la population en général se conforment à la politique et au principe d’unité nationale et de réconciliation.

Financement : est principalement financée par des gouvernements étrangers, bien que le financement de certaines activités provienne également des Nations Unies, ainsi que d’ONG locales et internationales

Conclusions & recommandations

Depuis que la Commission est devenue un organe permanent en 2002, elle n’a pas publié de rapport final formel comme le font d’autres CVR. Au lieu de cela, la Commission rwandaise publie des rapports annuels quant à la progression de la réconciliation sur son site web. Le dernier en date s’intitule « Baromètre de la réconciliation au Rwanda 2020 ». Voici donc un bilan de la situation actuelle.

Conclusions

Grâce aux multiples efforts mis en place après le Génocide perpétré contre les Tutsi, les Rwandais ont aujourd’hui redécouvert la fierté de leur identité commune, ce qui implique qu’ils ont largement dépassé les tendances à se considérer eux-mêmes et considérer les autres dans des optiques Hutu, Tutsi. En effet, plus de 98% des Rwandais se considèrent d’abord comme des Rwandais avant toute autre identité.

Toutefois, les résultats ont montré que les Districts comme Gasabo, Kicukiro, Nyarugenge, Bugesera et Ruhango, se considèrent en majorité selon la dualité hutu/tusti et non pas comme Rwandais avant tout. Parallèlement, les Districts de Nyamagabe, Kicukiro, Gasabo, Nyarugenge, Muhanga et Nyabihu concentrent le plus fort mal-être quant aux blessures liées au génocide. Des études ultérieures devraient s’atteler à comprendre de façon approfondie ce qui fait que ces Districts ont des scores plus élevés par rapport aux autres dans ces deux aspects.

Qui plus est, un certain nombre de facteurs ont également été identifiés comme entravant la réconciliation. Il s’agit du déni et négation du génocide, le penchant à recourir aux moyens violents, les anciens condamnés du génocide qui continuent de refuser de se repentir, des blessures non encore cicatrisées causées par le génocide, certains dirigeants locaux qui ne répondent pas aux préoccupations de la population.

Recommandations

I. Repenser les programmes de l’enseignement à tous les niveaux pour pallier le déni de génocide semble nécessaire. Par exemple :
(a) proposer un contenu adéquat sur le génocide contre les Tutsi et ses conséquences ;
(b)
inciter les enseignants à aborder les problèmes actuels tels que la question de l’ethnicité au Rwanda, la politique d’unité et réconciliation dans les leçons d’histoire ;
(c) rendre disponibles plus de manuels d’histoire sur le sujet.

II. Renforcer l’intégration de l’éducation à la paix dans l’éducation formelle, informelle et non-formelle en se concentrant davantage sur la nécessité d’aider les apprenants à être conscients des pratiques et des discours qui favorisent la culture de la violence pour mettre fin à celle-ci comme moyen de résolution de conflit.

III. Explorer de nouvelles approches quant à la guérison individuelle et collective :
(a) rechercher des approches collaboratives allant au-delà des prescriptions médicales qui ne sont pas toujours utiles pour surmonter les traumatismes ;
(b)
créer des espaces sûrs (lieux sécurisés) pour le dialogue et des séances d’écoute en petits groupes. Ces espaces devraient être bien structurés pour que les gens se sentent confortables pour partager leurs souffrances.

IV. Accompagner le leadership des élus locaux
(a) organiser des formations en leadership et guérison du trauma pour les dirigeants locaux ;
(b)
préparer les leaders, en particulier ceux au niveau local, à accepter de rendre compte et être tenus responsables de leurs actes ;
(c) renforcer les capacités des institutions existantes ou en créer d’autres qui renforcent la responsabilité des leaders locaux. L’objectif majeur de cette initiative serait d’assurer que les problèmes des citoyens soient résolus sans devoir attendre l’intervention des hautes autorités.

 

Mesures prises post-recommandations

Dû à son caractère permanent, il est difficile de quantifier la majeure partie des mesures qu’a permis de prendre la Commission. Cependant, voici quelques initiatives créées à travers le pays pour promouvoir l’unité et la réconciliation.

Les Ingando

Camps de solidarité destinés à l’éducation civique et à la coopération. Originellement, ils ciblaient la jeunesse, mais ont également été utilisés pour la réinsertion d’anciens délinquants liés au génocide. Les camps durent généralement d’un à trois mois, mais la durée varie en fonction de la raison de la présence d’un participant. L’isolement et le travail en communauté ont pour but de réapprendre à vivre en communauté tout en laissant à tout un chacun le temps de méditer sur de graves problèmes d’intérêt général et sociétal.

L’Itorero ry’Igihugu

S’apparentant également à un programme civique mais hors camp, son but est de promouvoir les valeurs culturelles rwandaises et unitaires tout en sensibilisant son public (en partie jeune) à des problématiques sociétales actuelles comme l’égalité des genres, la prévention contre le VIH, l’écologie, etc.

Les Gacaca

Créées en 2001 en sus des tribunaux classiques qui se retrouvèrent débordés par l’envergure du conflit, les juridictions Gacaca, héritières des modes de règlement traditionnels des conflits de voisinage ont été repensées pour juger les accusés du crime du génocide et autres crimes contre l’humanité. La sentence prodiguée après confession sera soit la remise en liberté conditionnelle soit l’obligation de travaux d’intérêt général, un moyen pour les coupables de s’amender et de se réinsérer auprès de leur communauté.

L’abunzi

L’ abunzi vise à résoudre les conflits avant qu’il ne soit nécessaire d’impliquer les tribunaux judiciaires. Cette tradition rwandaise a été relancée par le gouvernement du pays en 2006, également dans l’optique d’alléger la charge des instances classiques.

L’umuganda

Signifiant « se rassembler dans un but commun » en Kinyarwanda, langue officielle du pays, il s’agit d’une fête se déroulant le dernier samedi de chaque mois dans le but de mener à bien des travaux communautaires dans tout le pays de 08h00 à 11h00 pour les moins de 65 ans. Remis à l’ordre du jour en 2009, le but est double : reconstruire matériellement et psychologiquement la société rwandaise dévastée par les conflits passés.

Le Girinka

Ce programme socio-économique de 2006 vise à éradiquer la malnutrition et la pauvreté à travers le pays en fournissant une jeune vache à chaque famille dans le besoin. En retour, ils pourront subvenir de son lait et utiliser son fumier comme engrais pour les plantations.

Le Genocide Survivors Assistance Fund

Autre apport socio-économique, ce fonds est destiné aux victimes du conflit qui sont en état de fragilité (économique ou physique). Son but est donc de faciliter la réintégration sociale des rescapés tout en les autonomisant. Ce fonds sert notamment à financer des programmes d’éducation et de santé, voire à l’aide au logement et à la réhabilitation humaine.

La prise en compte des violences sexuelles

La politique actuelle en matière de VBG au Rwanda est bien alignée sur les cadres et normes internationales. La politique adopte une position forte en faveur de la tolérance zéro de la VBG et est tournée vers la résolution des causes profondes telles que les normes socioculturelles, les déséquilibres entre les sexes et même l’abus d’alcool. En outre, la politique réussit à reconnaître les effets en chaîne de la VBG, notamment économiques et sociaux. La politique répond aux attentes des cadres internationaux que le Rwanda a ratifiés (par exemple, le Protocole de Maputo ou la Déclaration de Kampala). 

Lois nationales

Adoption de la Loi n° 59/2008 la 10/09/2008 portante prévention et répression de la violence basée sur le genre ;

Adoption d’un plan d’action national en 2009 pour la mise en œuvre de la résolution n° 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies ;

Adoption de la politique nationale de genre en 2010 (qui comprend des mesures de prévention et de traitement de la VBG) ;

Adoption de la loi anti-VBG en 2011 dont l’objectif est « d’éliminer progressivement la VBG par le développement d’un environnement préventif, protecteur, favorable et transformateur » ;

Adoption de la loi n° 68/2018 du 30/08/2018, qui reconnaît 4 types de VBG : corporelle, économique, sexuelle et psychologique.

Instances nationales

1999 : création du ministère du Genre et de la Promotion de la famille (MIGEPROF). A la responsabilité principale de la mise en œuvre, de la diffusion et de la coordination de la politique de genre.

2007 : création du Gender Monitoring Office (GMO), chargé de rendre compte de la de la mise en œuvre du plan relatif à la VBG et de la gestion des données relatives à la VBG. 

2018 : création du Pôle national du genre et de la famille (NGFC). Aide le gouvernement rwandais et ses partenaires à coordonner correctement leurs interventions de prévention et de réponse à la VBG. Participation du secteur privé.

documents complémentaires

Médiathèque audiovisuelle

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