Maroc

Instance Equité et Réconciliation

Suite à l’indépendance du Maroc en 1956, nombre de Marocains adhèrent à divers mouvements sociaux, de gauche et/ou contestataires. Étant donné que ces revendications pouvaient menacer l’ordre établi, le roi Hassan II, qui accéda au pouvoir en 1961, n’hésita pas à recourir à la répression systématique des opposants. S’ensuivit alors un régime de terreur qui faisait prévaloir la torture, des arrestations arbitraires et qui causa la disparition de centaines de citoyens. Communément appelées « les années de plomb », celles-ci, qui durèrent de 1959 à 1999, laissèrent un héritage amer au peuple marocain et une méfiance du pouvoir s’enracina profondément dans les esprits. C’est pourquoi, désireux de renouer avec son peuple et de repenser la gouvernance nationale, le successeur au trône, le roi Mohammed VI décida de renforcer le processus de réconciliation amorcé dans les années 90. En 2004, il fit donc développer une Instance Équité et Réconciliation (IER), chargée d’enquêter sur les violences commises contre les opposants sous le règne du Roi Hassan II.

Les documents officiels relatifs à l’organisation et au mandat de la Commission n’ont pas été trouvés.

chronologie

Mars 1956 : indépendance du Maroc et fin du Protectorat français. En avril, l’Espagne reconnaît l’indépendance de la partie nord du pays qu’elle détenait.

1957 : la Monarchie triomphe contre le Parti de l’indépendance. Le sultan Mohamed V est proclamé roi. 

Février 1961 : décès de Mohammed V. Son fils, Hassan II, lui succède le mois suivant.  

Décembre 1962 : la Constitution, approuvée par référendum, instaure un système parlementaire bicaméral qui accorde des pouvoirs considérables au roi, au détriment du parlement.  

Mai 1963 : les opposants à la monarchie remportent près de la moitié des sièges lors des législatives. 

Mars-Juin 1965 : des émeutes à Casablanca font des dizaines de morts. Le roi proclame l’état d’urgence et suspend la constitution. La répression s’ensuit. Enlèvement et assassinat de Mehdi Ben Barka, leader de l’Union nationale des forces populaires (UNFP).

Juillet 1970 : adoption d’une nouvelle Constitution, renforçant les pouvoirs du roi. 

1973 : soulèvement armé du Moyen-Atlas suivi d’une terrible répression. Restriction du code des libertés publiques, interdiction de l’Union nationale des étudiants marocains (UNEM).

1975-1979 : le Roi reprend l’ex-Sahara espagnol, s’attirant ainsi la sympathie du peuple.

Mars 1976 : rupture des relations diplomatiques avec l’Algérie, après la reconnaissance par Alger de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), autoproclamée par le Front Polisario.

1980 : le Maroc commence la construction de « murs de protection » au Sahara occidental.

Janvier 1984 : nouvelles rixes dans le nord du pays, après la hausse des prix des denrées alimentaires et des frais scolaires.  

Septembre 1991 : cessez-le-feu entre le Maroc et le Front Polisario. Aucune issue n’est cependant trouvée au conflit. Invisibilisation du peuple sahraoui.

1992-1996 : révisions constitutionnelles renforçant les pouvoirs du gouvernement et du Parlement.  

1994 : affrontements entre forces de l’ordre et étudiants, de janvier à mars, dans les universités de Fès et Casablanca.

Juillet 1999 : mort du roi Hassan II. Son fils Mohammed VI lui succède.

2004 : création de l’Instance Équité et Réconciliation (IER), chargée de recueillir les témoignages des victimes des « années de plomb ». Le 16 avril, les députés adoptent à l’unanimité l’égalité juridique entre hommes et femmes.

l'instance en détails

Création : 10 avril 2004

Dissolution : mars 2006

Base juridique : Dahir n° 1.04.42 Du 19 safar 1425 (10 avril 2004) Portant approbation des Statuts de L’Instance Equité et Réconciliation

Composition : 17 membres

Président : Driss Benzekri
Membres : Ahmed Chawki Benyoub ; Abdelaziz
Benzakour ; Mohamed Mustapha Raissouni ; M’barek Bouderka ; Mahjoub El Haiba ; Mohamed Berdouzi ; Latifa Jbabdi ; Mustapha Iznasni ; Abdeltif Menouni ; Brahim Boutaleb ; Mae El Ainine Mae El Ainine ; Salah El Ouadie ; Abdelaziz Bennani ; Driss El Yazami ; Abdelhay Moudden ; Mohamed Neshnash.

Tous les commissaires étaient d’anciens opposants ayant connu la prison ou l’exil sous le règne d’Hassan II.

Mandat : traiter des violations commises durant la période allant de l’indépendance à la date de l’approbation royale portant création de l’Instance indépendante d’arbitrage chargée de l’indemnisation des victimes de la disparition forcée et de la détention arbitraire.

 Compétences :

I. Établir la nature et l’ampleur des violations graves des droits de l’homme commises par le passé, nécessaire à l’établissement de la vérité.

II. Poursuivre les recherches sur les cas de disparition forcée dont le sort demeure inconnu et déployer tous les efforts pour enquêter sur les faits non encore élucidés dans le même objectif.

III. Déterminer la responsabilisation de l’État au regard des crimes et violations commis.

IV. Indemniser les préjudices matériels et moraux subis par les victimes

V. Veiller à la réparation des autres préjudices subis par les personnes victimes de la disparition forcée et de la détention arbitraire, et ce, par la formulation de propositions et de recommandations en vue d’assurer la réadaptation psychologique et médicale, la réintégration sociale des victimes.

VI. Élaborer un rapport en tant que document officiel énonçant les conclusions des enquêtes, aux sujets des violations, mais aussi des recommandations portant sur des propositions de mesures destinées à préserver la mémoire et garantir la non-répétition des violations.

conclusions & recommandations

I. Les investigations de l’IER ont permis d’élucider 742 cas, toutes catégories confondues.

II. L’IER a acquis la conviction que 66 autres cas de victimes qu’elle a analysé rassemblent les éléments constitutifs de la disparition forcée et considère que l’État a l’obligation de poursuivre les investigations entamées.

III. Des difficultés ont entravé la recherche de la vérité, parmi lesquelles, figurent notamment la fragilité de certains témoignages oraux auxquels l’Instance a remédié par le recours à des sources écrites, l’état déplorable de certains fonds d’archives nationales quand elles existent, la coopération inégale des appareils de sécurité, l’imprécision de certains témoignages d’anciens responsables et le refus d’autres de contribuer à l’effort d’établissement de la vérité.

IV. Au terme de ses travaux, l’Instance estime qu’un progrès significatif a été enregistré, entre janvier 2004 et novembre 2005, quant au degré d’établissement de la vérité sur les graves atteintes aux droits de l’Homme qu’a connu le Maroc.

I. La consolidation des garanties constitutionnelles des droits humains par :

(a) l’inscription des principes de primauté du droit international des droits de l’Homme sur le droit interne ;
(b) la séparation des pouvoirs ;
(c) le renforcement du contrôle de la constitutionnalité des lois.

II. L’adoption et la mise en œuvre d’une stratégie nationale intégrée de lutte contre l’impunité grâce à :

(a) l’inscription des éléments constitutifs des crimes de disparition forcée, de torture et de détention arbitraire dans le droit interne ;
(b) l’obligation de tout membre du personnel civil ou militaire chargé de l’application de lois de rapporter toute information concernant lesdits crimes, quelle qu’en soit l’autorité commanditaire ;
(c) le renforcement de la protection des droits des victimes et des voies de recours.

III. La consolidation des réformes dans le domaine sécuritaire, de la justice, de la législation et de la politique pénales via :

(a) la mise à niveau et la clarification des textes réglementaires relatifs aux attributions, à l’organisation, aux processus de décision, aux modes d’opération et aux systèmes de supervision et d’évaluation de tous les appareils de sécurité et de renseignement ;
(b) le renforcement de l’indépendance de la justice ;
(c) la mise à niveau de la législation et de la politique pénales, qui exige le renforcement des garanties de droit et de procédure contre les violations des droits de l’Homme.

mesures prises post-recommandations

Comme les attributions de l’Instance Équité et Réconciliation sont non judiciaires et n’invoquent pas la responsabilité individuelle dans les violations et que
contrairement à ses engagements internationaux, le Maroc a décrété une amnistie générale, il est possible d’affirmer, comme l’a fait le juriste tunisien Yadh Ben Achour que la monarchie marocaine a organisé une sorte de « procès du Roi sous le portrait du Roi », ce qui lui aurait largement permis de contrôler le processus de justice transitionnelle. Ainsi, l’IER a eu un rôle plus symbolique que pratique. Pour plus d’informations, se référer à la rubrique Documents complémentaires.

La prise en compte des violences sexuelles

Il est à noter que l’IER décida d’octroyer aux femmes des compensations plus élevées qu’aux hommes en raison de souffrances spécifiques liées à leur sexe qu’elles ont subi. Ainsi, le Maroc a fait le choix d’une approche genrée, ce qui lui a valu une reconnaissance internationale pour son initiative de justice transitionnelle, en plus d’être qualifiée d’unique dans le monde arabo-musulman. Ces avancées témoignent, en effet, d’une forte volonté de consolider un Etat de droit garant du respect des droits de l’Homme. Cependant, bien qu’une approche genrée et une certaine reconnaissance aient été données aux victimes, les victimes et leurs familles attendent toujours que les tortionnaires soient nommés et jugés. En effet, les concepteurs de l’IER ont fait le choix de ne pas désigner les tortionnaires du précédent régime. 

documents complémentaires

médiathèque audiovisuelle

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