Guatemala

Commission pour l’Éclaircissement Historique

Le Guatemala a connu une succession de régimes militaires répressifs depuis les années 1950. De plus, ces derniers engagèrent, à partir de 1982, une offensive contre les groupes de guérilla qui avaient émergé dans tout le pays. En proie à la dictature et à la guerre civile, le peuple guatémaltèque est victime de nombreuses violations graves des droits de l’homme tels que de la torture et des actes cruels, inhumains ou dégradants, des arrestations et des exécutions arbitraires… Le pays connaît une transition démocratique à partir de 1983 mais la guerre civile ne cesse qu’en 1996 suite à un accord supervisé par les Nations Unies. 

Deux ans auparavant, en 1994, toujours sous l’égide des Nations Unies dans le cadre d’un processus visant à mettre fin à la guerre civile, est signé un Accord sur la création de la Commission chargée de clarifier les violations des droits de l’homme et les actes de violence passés qui ont fait souffrir la population guatémaltèque.

Chronologie

1944 : Une révolution met fin à la longue tradition d’autoritarisme qui a caractérisé l’histoire politique du Guatemala le 25 juin 1944. Ce changement, sous le gouvernement de Juan José Arévalo, ouvre la voie à une transition démocratique. Entre 1944 et 1954, des réformes intensives ont eu lieu en faveur du développement social et de la participation politique. En 1945, une nouvelle constitution est adoptée. 

Des tensions politiques persistent et une polarisation idéologique née, ce qui donne lieu à plusieurs tentatives de renversement du gouvernement au cours de la décennie démocratique. Pendant les six années de l’administration de Juan José Arévalo, 32 tentatives de renversement du gouvernement ont lieu. 

1951 : Jacobo Arbenz, ministre de la Défense dans le gouvernement de Juan José Arévalo,  est élu au suffrage universel et prend ainsi la tête du pays. 

1954 : En juin, un coup d’État est organisé contre le régime de Arbenz avec le soutien des Etats Unis.  A la suite de l’opération PBSUCCESS, Arbenz démisionne afin de ne pas risquer une guerre civile. Le général Carlos Castillo Armas prend le pouvoir. Le régime répressif qu’il met en place fait 9 000 victimes, notamment d’exécutions et d’incarcérations. Jusqu’en 1982 se succèdent une série de gouvernements militaires au Guatemala.

En parallèle, quatre principaux groupes de guérilla d’extrême-gauche mènent des attaues armées contre le gouvernement : l’Armée des pauvres (Ejército Guerillero de los Pobres (EGP)), l’Organisation révolutionnaire du peuple armé (ORPA), les Forces armées rebelles (FAR) et le Parti guatémaltèque du travail (PGT). Finalement, en 1982, ces organisations s’unirent pour former l’Union révolutionnaire nationale guatémaltèque. De nombreux affrontements éclatent contre des groupes d’extrême-droite, tels l’Armée secrète anti-communiste (ESA) et la Main Blanche. Une guerre civile éclate en 1960. Elle ne se terminera qu’en 1996 et fera plus de 200 000 personnes tuées et un million de personnes déplacées. 

1966 : Les chefs d’Etat qui se succèdent de 1966 à 1982 mènent des offensives contre les guérillas qui se traduisent par de nombreux massacres et par la destruction de centaines de villages, considérés comme bases de soutien des rebelles. 

1982 : A la suite d’un coup d’Etat des troupes armées, Efraín Ríos Montt prend la tête du pays. Il instaure une dictature et met en place les patrouilles d’autodéfense civiles : des miliciens ayant pour objectif de mettre fin à la guérilla. Plusieurs massacres se succèdent tels que le massacre de Plan de Sánchez ou le massacre de Dos Erres. La présidence de Ríos Montt est jugée comme la plus sanglante des 36 ans de guerre civile que connut le pays.

1983 : Le général Mejía prend le pouvoir par un coup d’Etat. Il permet un retour progressif à un régime constitutionnel au Guatemala. Une nouvelle Constitution est adoptée. Puis des élections présidentielles sont organisées en 1986. 

1990 : Jorge Antonio Serrano Elias est élu président. Il tente d’établir une dictature mais fait face à de nombreuses pressions du peuple et de l’armée guatémaltèque ainsi que de la communauté internationale. Serrano finit par s’exiler du pays, laissant sa place à la tête du pays à Ramiro de León Carpio, alors Ombudsman des droits humains. Son mandat permet de nombreuses avancées s’agissant des droits de l’homme : signature d’accords sur les droits humains, réhabilitation de personnes déplacées, clarification historique et mise en œuvre de droits autochtones.

1994 : L’accord sur la création de la Commission chargée de clarifier les violations des droits de l’homme et les actes de violence passés qui ont fait souffrir la population guatémaltèque est signé le 23 Juin à Oslo, sous les auspices des Nations Unies. 

1996 : Sous le régime d’Álvaro Arzú Irigoyen, les négociations de paix aboutissent et donne lieu à un accord de paix en décembre. La situation des droits humains s’améliora encore, et des étapes furent franchies afin de réduire l’influence de l’armée dans les affaires nationales.

1999 : La Commission rend son rapport final intitulé Guatemala : mémoire du Silence et le publie en février.

La Commission en détails

Création :  23 Juin 1994 ; début des travau le 31 de julio de 1997

Dissolution : 1999

Base juridique : Accord sur la création de la Commission chargée de clarifier les violations des droits de l’homme et les actes de violence passés qui ont fait souffrir la population guatémaltèque du 23 Juin 1994

Composition : Au terme de l’Accord, “la Commission est composée des trois membres suivants : 

  1. Le modérateur actuel des négociations de paix, qu’il sera demandé au Secrétaire général des Nations Unies de désigner. 
  2. Un membre, guatémaltèque de conduite irréprochable, désigné par le modérateur avec l’accord des parties.
  3. Un universitaire choisi par le modérateur, avec l’accord des parties, sur une liste proposée par les présidents d’université.”

 

En pratique, la Commission était composée de Christian Tomuschat (Président), Otilia Lux de Coti et Edgar Alfredo Balsells Tojo.

Mandat : La Commission pour la clarification historique a été créée pour clarifier les violations des droits de l’homme liées au conflit interne qui a duré trente-six ans, de 1960 à l’accord de paix négocié par les Nations unies en 1996, et pour encourager la tolérance et préserver la mémoire des victimes.

Compétences : Au terme de l’accord, la Commission doit :

– Clarifier en toute objectivité, équité et impartialité les violations des droits de l’homme et les actes de violence qui ont fait souffrir la population guatémaltèque, liés au conflit armé.

– Préparer un rapport qui contiendra les conclusions des enquêtes menées et fournira des informations objectives sur les événements de cette période, en tenant compte de tous les facteurs, tant internes qu’externes. 

– Formuler des recommandations spécifiques pour encourager la paix et la concorde nationale au Guatemala. La Commission recommandera, en particulier, des mesures visant à préserver la mémoire des victimes, à favoriser une culture de respect mutuel et de respect des droits de l’homme et à renforcer le processus démocratique.

Conclusions et recommandations

La Commission a rendu son rapport final, intitulé « mémoire du Silence », en 1999. Il contient notamment les conclusions et recommandations suivantes : 

Conclusions

– « Les forces de l’État et les groupes paramilitaires connexes ont été responsables de 93 % des violations documentées » et « les actions des insurgés ont produit 3% des violations des droits de l’homme et des actes de violence » 

– La commission a constaté que les pratiques répressives étaient le fait d’institutions de l’État, en particulier du pouvoir judiciaire, et ne constituaient pas simplement une réponse des forces armées. Le rapport indique que dans les quatre régions les plus touchées par la violence, « des agents de l’État ont commis des actes de génocide contre des groupes de Mayas « .

– Au total, la Commission a mené 7 200 entretiens avec 11 000 personnes et a catalogué ces entretiens dans une base de données. Des informations déclassifiées du gouvernement américain ont été incluses dans les données.

– Le nombre total de personnes tuées ou disparues s’élève à plus de 200 000  : 83% des victimes étaient mayas et 17% ladinos.  

– La mobilisation sociale a atteint son apogée entre 1978 et 1982, tout comme le taux d’assassinats et de violations des droits de l’homme.

Recommandations :

Pour préserver la mémoire des victimes : Reconnaissance par les représentants de l’Etat des crimes commis et de leur responsabilité, Création d’activités commémoratives… 

Pour la réparation des victimes : Création de toute urgence d’un Programme national de réparation pour les victimes de violations des droits de l’homme et d’actes de violence liés au conflit armé et leurs familles, Adoption d’une politique active d’exhumation…

Pour promouvoir une culture de respect mutuel et de respect des droits de l’homme : Soutien de la diffusion et la promotion du rapport et de ses recommandations, Développement d’une campagne d’éducation sur la culture du respect mutuel et de la paix destinée aux différents secteurs politiques et sociaux, Ratification des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, Adoption des législatives visant spécifiquement à protéger les défenseurs des droits de l’homme, Création une commission chargée d’examiner la conduite des officiers de l’armée et des officiers des différents organes et forces de sécurité de l’État en service actif…

Pour renforcer le processus démocratique : Respect des engagements contenus dans les accords de paix, Elaboration et promulgation d’un nouveau Code militaire, Modification de l’enseignement militaire… 

Pour promouvoir la paix et l’harmonie nationale : Promotion de la participation sociale et politique des peuples autochtones, Mise en œuvre l’Accord sur l’identité et les droits des peuples autochtones, Adoption de toute urgence d’une réforme fiscale juste, équitable et globalement progressive pour renforcer la mobilisation des ressources nationales…

Entité responsable du suivi et de la promotion de la mise en œuvre des recommandations : Création d’une entité chargée de soutenir, promouvoir et contrôler le respect des recommandations de la Commission sous le nom de Fondation pour la paix et la réconciliation. 

Mesures post recommandatio

Le travail de la commission comme le suivi de ses recommandations ont été freinés par la forte opposition de l’armée guatémaltèque à laquelle la CEH était confrontée. Pour autant, depuis la publication du rapport final en 1999, plusieurs mesures ont été prises : 

Le Guatemala a ratifié plusieurs textes internationaux pour la protection des droits de l’homme à partir de 2000, tels que la Convention interaméricaine sur les disparitions forcées, le Protocole additionnel à la Convention américaine des droits de l’homme relatifs aux droits sociaux, économiques et culturels, le Protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou encore le Protocole facultatif de la Convention relative aux droits de l’enfant.

En 2003, un programme national de réparations et d’indemnisations a été mis en place. Pour autant, son transfert au sein du ministère du développement social en 2020 fait l’objet de controverses. 

Pour finir, l’ancien dictateur militaire José Efrain Rios Montt a été jugé et condamné pour génocide et crimes contre l’humanité. Néanmoins, suite à plusieurs suspensions du procès, Rios Montt est décédé en 2018 alors que le procès était toujours en cours. 

Prise en compte des violences sexuelles

La Commission fait état de violences sexuelles à de nombreuses reprises dans son rapport. Celui-ci comprend une partie intitulée “Violences contre les femmes” dans laquelle la question des violences sexuelles est détaillée. 

La Commission déclare : “Le viol était une pratique généralisée et systématique menée par des agents de l’État dans le cadre de la stratégie anti-insurrectionnelle, devenant une véritable arme de terreur et une violation grave des droits de l’homme et du droit humanitaire international.”

Elle ajoute : “De nombreux viols ont été commis dans le cadre de la stratégie globale de terreur. Beaucoup d’entre elles faisaient partie d’opérations de terre brûlée ou ont été menées avant des massacres et de manière publique et massive. Dans certains cas, elles ont été menées conjointement par l’armée et les patrouilles, dans d’autres cas, les patrouilles ont agi seules, dans le cadre du pouvoir d’impunité accordé par l’armée.”

 

Concernant les méthodes utilisées, la Commission précise que “la torture sexuelle consistait en des violences directes sur les organes génitaux, sous la forme de viols par des animaux, avec des bouteilles ou des matraques, et de coups ou de courant électrique appliqués sur les organes génitaux. Il s’appliquait aussi bien aux hommes qu’aux femmes. Selon les témoignages reçus par la CEH, les femmes étaient généralement interrogées nues. La forme la plus courante de violence utilisée contre les femmes est le viol. Elle était même pratiquée à grande échelle, car elle causait beaucoup de douleur aux femmes.

 

Concernant les victimes, la Commission fait les observations suivantes : 

– “Les victimes directes étaient principalement des femmes et des filles, mais des garçons et des hommes ont également été victimes d’abus sexuels.”

– “En termes d’ethnicité, 88,7% des victimes de viol identifiées et enregistrées par la CEH (avec information sur le groupe ethnique) sont mayas, 10,3% sont ladines et 1% appartiennent à d’autres groupes. Les groupes ethniques les plus touchés sont : K’iche’, Q’anjob’al, Mam, Q’eqchi’, Ixil, Chuj et Kaqchikel.”

– “En ce qui concerne l’âge des victimes identifiées (avec des informations sur l’âge et le sexe) enregistrées par la CEH informations sur l’âge et le sexe) enregistrées par la CEH, deux tiers (62%) étaient des femmes adultes (entre 18 et 60 ans), un tiers (35%) des filles (entre 0 et 17 ans) et 3% des personnes âgées. 17 ans) et 3 % étaient des femmes âgées.”

 

Dans ses conclusions, la Commission revient sur les violences sexuelles et résume ses différents constats comme suit : “Tout au long de l’enquête, la CEH a constaté que le viol des femmes, pendant leur torture ou avant leur mise à mort, était une pratique courante visant à détruire la dignité de la personne dans l’un de ses aspects les plus intimes et les plus vulnérables. La plupart des victimes de ces viols étaient des femmes mayas. Ceux qui ont survécu au crime sont toujours confrontés à des difficultés dues aux profonds traumatismes dérivés de cette agression, tandis que les communautés elles-mêmes ont été violées par cette pratique. La présence de la violence sexuelle dans la mémoire sociale des communautés est devenue une source de honte collective.”

Documents complémentaires

médiathèque audiovisuelle

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