Philippines

Commission de Vérité et de Justice Transitionnelle

Les gouvernements successifs qui ont suivi l’indépendance du pays, ont fait face à de nombreuses oppositions qui ont donné lieu à de violents affrontements. La Commission de Vérité des Philippines a été créée en 2014 suite à l’Accord-Cadre sur le Bangsamoro afin d’enquêter sur les violations graves des Droits de l’Homme commises aux Philippines dans les régions de Mindanao et du Sulu à l’occasion d’un conflit religieux et identitaire impliquant la minorité musulmane du pays. Son mandat n’a pas été trouvé.

Son rapport publié en 2016 démontre l’attention portée aux cas de violences sexuelles. Le rapport final souligne l’utilisation systématique du viol et de la violence sexuelle ciblant les femmes de Moro et les communautés indigènes avant et pendant la période de loi Martiale, en particulier, comme moyen de perturber la structure de la communauté.

Chronologie

1946 : Le 4 juillet, les Philippines obtiennent leur indépendance suite à une déclaration du président américain Harry Truman. 

1965 : Ferdinand Marcos est élu président de la République des Philippines. Rapidement son régime devient autoritaire et corrompu. En 1972, il instaure la loi martiale décrétée au nom de la lutte contre le communisme, face à la contestation de son pouvoir. Les violations des droits humains se multiplient dans les affrontements opposants le régime et les guérillas communiste et islamiste.
En 1983, l’assassinat du leader de l’opposition, Benigno “Ninoy” Aquino, soulève une vague de manifestations à l’encontre du gouvernement. Trois ans plus tard, en 1986, Corazón Aquino, la veuve de Benigno, remporte les élections, après la naissance du mouvement People Power, défiant le pouvoir militaire du régime de Marcos. 

Marcos doit s’exiler, il meurt en exil en 1989. Les libertés démocratiques sont rétablies. Corazón Aquino doit faire face à plusieurs tentatives de coups d’État.

1992 : Fidel Ramos devient président de la République. En 1996, son gouvernement signe un accord de paix avec le Front de libération nationale moro (MNLF), qui aboutit à l’établissement d’une Région autonome dans la partie musulmane de Mindanao (ARMM). 

1998 : Joseph Estrada succède à Fidel Ramos à la tête du pays. 

2000 : Une nouvelle vague de violence secoue le Sud musulman. Suite à l’arrêt par les militaires des négociations de paix, le Front de libération islamique moro (MILF), devenu le principal groupe séparatiste musulman, relance l’offensive. 

2001 : Le 20 janvier, un soulèvement populaire écarte du pouvoir le président Joseph Estrada. Gloria Macapagal-Arroyo devient présidente de la République des Philippines mais les violences et les bombardements continuent dans l’ARMM.

En 2002, dans le cadre de la lutte anti-terroriste, les conseillers américains aident l’armée philippine à lutter contre le groupe Abou Sayyaf et contre l’implantation de groupes liés au réseau Al-Qaida dans le sud de l’archipel.

2004 : Gloria Macapagal-Arroyo se présente à un second mandat et l’emporte, malgré des suspicions de fraudes électorales. La guérilla persiste, dont en 2005 trois attentats frappent le pays en février.

2007 : Le gouvernement annonce la mort du chef du groupe islamiste Abou Sayyaf, Khadaffy Janjalani. 

2008 : En août, le cessez-le-feu prévu en 2001 prend fin. Une flambée de violence frappe l’ARMM, les rebelles du MILF attaquant ouvertement l’armée dans certaines régions. Le 15 janvier 2009, une équipe du Comité international de la Croix Rouge (CICR), qui assurait une mission médicale, est enlevée sur l’île de Jolo.

2010 : Benigno Aquino III, fils de l’ancienne présidente Corazon Aquino, est élu président. 

2012 : L’Accord global sur le Bangsamoro (CAB), accord entre le Gouvernement philippin et le Front de libération islamique Moro (MILF) est signé, dont l’annexe sur la normalisation crée la Commission de justice transitionnelle et de réconciliation (TJRC). La Commission rend son rapport final en 2016. 

 

La Commission en détails

Création : 2014

Dissolution : 2016

Base juridique :  Annexe de normalisation de l’accord-cadre sur le Bangsamoro (FAB)

Composition :
Les panels de paix ont constitué la composition de la CVJR comme suit : 

Présidente : Mme Mô Bleeker, Envoyée spéciale, Département fédéral suisse des affaires étrangères.

Délégué du Gouvernement des Philippines (GPH) : Atty. Cecilia Jimenez-Damary 

Délégué suppléant du GPH : Atty. Mohammad Al-Amin Julkipli

Front de Libération Islamique Moro (MILF) Délégué : M. Ishak Mastura

Délégué suppléant du MILF : Atty. Abdul Rashid Kalim

Conseiller principal : M. Jonathan Sisson, Département fédéral des affaires étrangères (Suisse)

Conseiller principal en matière de genre : Dr. Ma. Lourdes Veneracion-Rallonza

La TJRC est soutenue par un personnel de bureau basé à Manille et à Cotabato City.

 

Mandat : entreprendre une étude et faire des recommandations en vue de promouvoir l’apaisement et la réconciliation entre les différentes communautés touchées par le conflit à Mindanao et dans l’archipel de Sulu. 

 

Compétences :

La TJRC a été mandatée pour proposer des mécanismes appropriés :

– Pour répondre aux griefs légitimes du peuple Bangsamoro ;

– Pour corriger les injustices historiques ;

– Pour traiter les violations des droits de l’homme ; 

– Pour remédier à la marginalisation due à la dépossession des terres.

Conclusions et recommandations

La Commission a rendu son rapport final en Mai 2016, il contient notamment les conclusions et les recommandations suivantes : 

 

Conclusions : 

– La cause profonde réside dans l’imposition d’une identité philippine monolithique et l’État philippin par la force à de multiples groupes ethniques de Mindanao et Sulu qui se considéraient comme des nations et des États-nations déjà préexistants.

– La violence directe et le déploiement de campagnes de terreur contre les Bangsamoro avaient pour but de « nettoyer » les terres de leurs habitants d’origine et, de cette façon, de créer les conditions nécessaires à l’acquisition par des particuliers et des entreprises de territoires abandonnés par la force, tout en créant des communautés homogènes de colons dans les régions touchées. 

– La plupart des violations des droits de l’homme commises à cette époque n’ont pas encore été pleinement documentées, formellement enquêtées et traitées. 

– Les différentes réparations prévues par le gouvernement sont toutes limitées en pratique. 

– La combinaison des violations continues des droits de l’homme et des violations spécifiques commises dans le contexte du conflit armé a des conséquences qui se renforcent mutuellement.

– La dépossession des terres des peuples autochtones  n’a pas seulement entraîné une marginalisation politique et économique, mais aussi une perte d’identité sociale et culturelle, la terre étant la source de vie de la communauté et la base de l’identité collective. 

 

Selon la Commission, les griefs légitimes, l’injustice historique, les violations des droits de l’homme et la marginalisation par la dépossession de la terre sont les conséquences de trois phénomènes qui se renforcent mutuellement :

 – La violence systémique de l’État exprimée en termes d’exclusion politique, socio-économique,  socioéconomique et culturelle et par l’utilisation disproportionnée de la violence directe ;

 – Une culture d’impunité omniprésente qui sape la pratique de l’État de droit ;

 – Une profonde négligence de l’État combinée à un manque de vision du bien commun.

 

Recommandations 

– Création d’une commission nationale de justice transitionnelle et de réconciliation sur le Bangsamoro, et la création de quatre sous-commissions comme partie intégrante du véhicule institutionnel permettant de réaliser tous les aspects de la stratégie de  » traitement du passé « .  

– Création d’un Centre Bangsamoro pour l’histoire, la culture et les arts avec le mandat suivant afin de collecter, préserver, promouvoir et diffuser la culture et la mémoire historique des Bangsamoro et des peuples indigènes. 

– S’attaquer à l’impunité en poursuivant les auteurs de violations graves et non prescriptives du droit international humanitaire et du droit international humanitaire. 

– S’attaquer aux problèmes liés à la dépossession, à l’utilisation et à l’occupation des terres dans les zones touchées par le conflit à Mindanao en élaborant et/ou en mettant en œuvre un mécanisme de résolution des conflits fonciers, y compris les revendications des populations autochtones sur les domaines ancestraux. 

– Adopter des politiques visant à rompre le cycle des déplacements internes en fournissant des moyens pour le retour avec accompagnement et des solutions durables, en particulier pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays dans des situations de déplacement prolongé.

– Institutionnaliser le renforcement des capacités des femmes du Bangsamoro en vue de leur autonomisation et de la reconnaissance de l’intégralité de leurs droits, y compris les droits de propriété.

– Adopter une loi fondamentale Bangsamoro pour fournir l’infrastructure politique et institutionnelle nécessaire à la mise en œuvre des accords de paix.

… 

mesures post recommandations

Les recommandations de la Commission n’ont donné lieu à aucune mesure de la part du gouvernement. 

prise en compte des violences sexuelles

La Commission s’intéresse à la question des violences basées sur le genre. Elle constate : “La dimension de genre devient encore plus prononcée dans les périodes de conflit armé ouvert. Les femmes se retrouvent seules à assumer la responsabilité de leur famille et de leur foyer lorsque leurs maris partent chercher du travail ailleurs ou rejoignent la rébellion armée. Lorsque les combats éclatent, elles sont souvent obligées de se réfugier dans des camps de déplacés, seules avec leurs enfants. Les femmes et les enfants sont vulnérables aux abus sexuels lorsqu’ils vivent dans l’espace ouvert des abris et de nombreux cas de trafic d’êtres humains ont été signalés.”

Elle ajoute : “Les histoires de femmes Moro enlevées, violées, abusées sexuellement et tuées par les forces de sécurité de l’État sont nombreuses.”

 

La Commission leur consacre une partie intitulée “Modèles de violence à l’égard des femmes”. Elle fait différentes conclusions sur les raisons de ces crimes  : 

– Les actes de violence sexuelle et autres à l’encontre des femmes ont une connotation sexospécifique et culturelle spécifique. Les femmes étaient agressées, non seulement parce qu’elles étaient des femmes, mais parce qu’elles étaient des femmes Moro. 

– Les viols et autres actes de violence commis à grande échelle par les forces armées et les auxiliaires forces armées et auxiliaires du gouvernement contre les femmes moro et indigènes était une démonstration de force destinée à démoraliser les hommes  » ennemis  » pour leur incapacité à protéger leurs femmes. 

– Dans le même ordre d’idées, la violence sexuelle à l’encontre des femmes et des filles visait souvent à détruire le tissu moral de la société Moro, où les femmes sont considérées comme porteuses d’honneur et de culture. 

 

La Commission a fait des recommandations spécifiques concernant les violences sexuelles : 

– “Enquêter sur les violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, en se concentrant, entre autres, sur des cas emblématiques spécifiques de crimes d’atrocité de masse, de dépossession de terres et de violence sexuelle et sexiste liée au conflit. En particulier, la sous-commission doit enquêter pour déterminer si de telles formes de violence ont été pratiquées en tant que stratégie de guerre délibérée dans le conflit Bangsamoro”;

– “Développer des services de guérison psychosociale, sensibles à la culture et au genre, pour les Bangsamoro et les peuples autochtones qui ont subi des expériences traumatisantes, en particulier des traumatismes liés à la violence sexuelle.”

documents complémentaires

médiathèque audiovisuelle

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