Commission Vérité et Réconciliation
De 1980 à 2000, le Pérou a fait face à un conflit armé interne, faisant 70 000 victimes mortes ou disparues. Ce conflit opposait les forces étatiques péruviennes à un mouvement subversif du Parti communiste péruvien, appelé “Sentier Lumineux”, rejoint quelques années plus tard par le Movimiento Revolucionario Tupac Amaru (MRTA). De nombreuses guérillas ont éclaté et ont plongé le pays dans un épisode de violences extrêmes. Le Sentier Lumineux et le MRTA recourraient au terrorisme afin d’imposer leurs idéologies, tandis qu’en réponse les militaires péruviens, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, commaittaient toutes sortes d’exactions. Ce conflit, théâtre de nombreuses violations des droits humains, ne prit fin qu’ à la chute du gouvernement, devenu autoritaire, d’Alberto Fujimori, en novembre 2000.
La Commission Vérité et Réconciliation du Pérou a été créée un an plus tard, en 2001, afin de faire la lumière sur les violences commises entre 1980 et 2000 par les membres du Sentier Lumineux et du MRTA et les forces armées étatiques. Le rapport a été finalisé en 2003.
Chronologie
1968 : Création du Sentier Lumineux, mouvement subversif du Parti communiste péruvien, par Abimael Guzman.
1980 : La veille des élections présidentielle, des membres du Sentier Lumineux brûlent des urnes dans le village de Chuschi, dans la province d’Ayacucho. C’est le déclenchement du conflit. Le mouvement enchaîne ensuite les actions. Le nombre approximatif d’actions armées pour le reste de l’année est de 178 , dont notamment un incendie à San Martín de Porres dans la région de Lima pour saluer le début de la lutte armée et la dynamite de la tombe du général Juan Velasco Alvarado (à l’origine du coup d’Etat de 1968 au Pérou).
1981 : L’état d’urgence est déclaré au Pérou par le Président Fernando Belaúnde Terry, en raison des attaques de plus en plus violentes du Sentier Lumineux ciblées. Le Président ordonne que l’armée lutte contre le Sentier Lumineux. Une Loi contre le terrorisme est adoptée : la simple appartenance à des groupes armés et diffusion d’informations de ces groupes seront qualifiées de » délit de terrorisme”.
1982 : Le Sentier Lumineux met en place la Ejército Guerrillero Popular – Armée Populaire de Guérilla.
1984 : Fondation du Mouvement révolutionnaire Túpac Amaru, qui rejoint le Sentier Lumineux dans sa lutte.
1988 : Renforcement de la loi antiterroriste.
1990 : Le Décret suprême 171-90-PCM place sous juridiction militaire toutes les actions de répression dans les zones marquées par l’état d’urgence.
1992 : Le président Alberto Fujimori suspend la Constitution et renverse son propre gouvernement, dans l’objectif de lutter contre les groupes subversifs.
1992 : Tentative de coup d’État à l’encontre du Président Fujimori.
1992 : Capture du chef du Sentier Lumineux, Abimael Guzman, qui sera ensuite condamné à la prison à vie en 2006. Il décèdera en prison en 2021.
1993 : Le président péruvien, Alberto Fujimori, annonce à l’assemblée des Nations-Unies que Abimael Guzman a proposé des « accords de paix ».
1993 : Adoption d’une nouvelle Constitution.
1995 : Réélection d’Alberto Fujimori.
2000 : Chute du gouvernement de A. Fujimori.
2000 : Le gouvernement de transition, dirigé par Valentín Paniagua, émet une résolution suprême par laquelle est créé un groupe de travail interinstitutionnel chargé d’élaborer les propositions législatives et administratives nécessaires pour l’établissement d’une commission de la vérité.
2001 : Élection du gouvernement de d’Alejandro Toledo.
2001 : Adoption du Décret suprême 065-2001-PCM portant création de la Commission de la Vérité et de la Réconciliation.
2003 : Publication du Rapport final de la Commission.
la commission en détails
Création : 4 juin 2001
Dissolution : 28 août 2003
Base juridique : Décret suprême 065-2001- PCM du 4 juin 2001. Complété par le Décret suprême 101-2001-PCM, du 31 août 2001, qui modifie la dénomination de la “Commission de la Vérité” pour celle de la “Commission de la Vérité et Réconciliation”.
Composition : Le décret fondateur prévoyait que la CVR serait composée de 7 commissaires “de nationalité péruvienne, de trajectoire éthique reconnue, de prestige et légitimité dans la société et identifiées avec la défense de la démocratie et de l’institutionnalité constitutionnelle”. Les membres sont nommés par le Président de la République, avec le vote approbatif du Conseil des Ministres.
Ont ainsi été nommé par le Président de transition Valentín Paniagua : Salomón Lerner Febres (Président), Beatriz Alva Hart, Enrique Bernales Ballesteros, Carlos Iván Degregori Caso, Gastón Garatea Yori, Alberto Morote Sánchez et Carlos Tapia García. Javier Ciurlizza Contreras, est nommé Secrétaire exécutif par l’ensemble des commissionnaires.
A la suite de son élection, le Président Alejandro Toledo a ratifié les 7 commissionnaires pré-nominés mais a également augmenté le nombre de commissionnaires à 12. Ont alors été nommés 5 nouveaux commissaires supplémentaires : Rolando Ames Cobián, Monseigneur José Antúnez de Mayolo, Luis Arias Grazziani, Humberto Lay Sun et Sofía Macher Batanero. Luis Bambarén Gastelumendi est nommé comme « observateur ».
Mandat : Clarifier le processus, les faits et les responsabilités de la violence terroriste et de la violation des droits de l’homme de mai 1980 à novembre 2000, imputables tant aux organisations terroristes qu’aux agents de l’État, ainsi que pour proposer des initiatives visant à affirmer la paix et l’harmonie entre les Péruviens. pour affirmer la paix et l’harmonie entre les Péruviens.
Compétences :
– Analyser les conditions politiques, sociales et culturelles, ainsi que le comportement de la société et des institutions étatiques qui ont contribué à la situation tragique de violence qu’a connue le Pérou ;
– Contribuer à l’élucidation par les organes juridictionnels respectifs, le cas échéant, des crimes et des violations des droits de l’homme commis par des organisations terroristes ou certains agents de l’État, en cherchant à déterminer le lieu et la situation des victimes, et en identifiant, dans la mesure du possible, les responsabilités présumées.
– Elaborer des propositions de réparation et de dignité pour les victimes et leurs familles.
– Recommander des réformes institutionnelles, juridiques, éducatives et autres, en tant que garanties de prévention, afin qu’elles puissent être traitées et abordées par des initiatives législatives, politiques ou administratives.
– Etablir des mécanismes de suivi de ses recommandations.
conclusions et recommandations
La Commission a rendu son rapport final le 28 août 2003. Il est composé de neuf tomes répartis en trois parties.
Conclusions :
– La CVR dénombre 69 280 victimes de ce conflit : 46% provoqué par le Sentier Lumineux, 30% par les Agents de l’Etat et 24% par d’autres acteurs (le MRTA, les rondes paysannes, des groupes paramilitaires….).
– La CVR soutient qu’il y eut une « relation notoire entre la situation de pauvreté et d’exclusion sociale et la probabilité d’être victime de la violence ».
– La CVR soutient également que « conjointement aux brèches socio-économiques, le processus de violence a mis en évidence la gravité des inégalités de caractère ethnique et culturel qui prévalent aujourd’hui encore dans le pays ». Par ailleurs la CVR soutient que ces résultats concernant les victimes démontrent un racisme voilé présent dans la société péruvienne.
– La CVR retient comme principal responsable le Sentier Lumineux, qu’elle considère comme la cause “immédiate et fondamentale” du déclenchement du conflit et du déchaînement de la violence par la suite.
Recommandations :
– Encourager le ministère public à ouvrir dans les plus brefs délais, les enquêtes appropriées contre les responsables présumés des crimes sur lesquels la CVR a enquêté. Par ailleurs, la CVR exhorte les pouvoirs étatiques de ne pas intervenir dans ce travail qui doit être strictement juridictionnel, notamment par le biais d’amnisties, pardons ou grâces présidentielles.
– Poursuivre les les exhumations et les enquêtes sur les disparus.
– Reconnaître et protéger dans la législation nationale les droits des peuples autochtones pour réaffirmer la diversité et la pluralité au Pérou.
– Limiter les pouvoirs des forces armées dans le contexte de l’état d’urgence et établir une délimitation des compétences respectives de la police et de l’armée.
– Création d’un plan de réparation intégrale pour fournir des réparations aux victimes et aux familles des victimes. Ce plan a pour objectif d’aider les victimes à retrouver leur dignité personnelle, de vérifier qu’ils voient restituer leurs droits en tant que citoyens et de fournir une compensation pour les dommages sociaux et matériels à leur communauté. En parallèle, la CVR a recommandé diverses réparations pour les victimes en matière de santé, d’éducation ou encore financières.
– Création de lieux et événements symboliques pour reconnaître l’importance et la gravité des violations des droits de l’homme subies.
mesures post recommandations
– En 2006, création d’un Conseil des réparations (Plan integral de reparaciones, Loi 28592), au sein du Ministère de justice. Sa mission centrale consiste en l’élaboration d’un Registre unique des victimes pour procéder aux réparations individuelles et collectives.
– Subordination des Forces armées aux Ministères de la Défense et de l’Intérieur et introduction d’une éducation aux droits humains dans le cursus des institutions armées.
– Modification de la législation anti-subversive du gouvernement d’Alberto Fujimori.
– Ouverture de nombreux procès, dont des procès historiques, notamment contre Abimael Guzman (condamné à perpétuité), Alberto Fujimori et le général Hermoza Ríos(condamnés à de lourdes peines de prisons).
– En 2004, création d’un Institut universitaire pour développer des formations en droits humains, anthropologie médico-légale, en formation de leaders jeunes et indigènes et en justice de transition.
– Inauguration de plusieurs lieux de mémoire dans les villes ayant été particulièrement affectées par le conflit.
– En 2016, adoption de la Loi de recherche des disparus et mise en place d’un Registre des personnes disparues.
prise en compte des violences sexuelles
Les violences sexuelles ont été largement utilisées durant le conflit au Pérou. Le Registre des victimes du Conseil des réparations du ministère de la Justice a recensé 4.567 viols pendant les années de violence armée et 1.500 cas d’autres formes de violences sexuelles.
Si les violences sexuelles ne sont pas mentionnées dans le mandat de la Commission, cette dernière s’est tout de même saisie de la question. La Commission a mené une enquête dans plusieurs régions du pays et a reçu 538 témoignages d’abus sexuels, de 527 femmes et 11 hommes.
Dans son rapport final, le point 1.5 de la partie 5 s’intitule les “violences sexuelles contres les femmes”. Dans cette partie d’une centaine de pages, la Commission observe que “les auteurs de ces crimes étaient à la fois des agents de l’État et des membres du Sentier lumineux et du MRTA, mais à des degrés différents. En ce sens, environ 83% des actes de viol sont attribuables à l’Etat et environ 11% aux groupes subversifs (Sentier Lumineux et MRTA).” De plus, elle conclut dans son rapport qu’il s’agissait d’une pratique généralisée et systématique durant le conflit, et déclare également que nous pouvons “parler de « violence de genre » (…), étant donné que la violence sexuelle a touché les femmes simplement parce qu’elles étaient des femmes.”
De même, les recommandations générales du rapport mentionnent expressément les violences sexuelles: « 57. La CVR a établi que les violations des droits de l’homme les plus graves commises par les agents militaires étaient: les exécutions extrajudiciaires, la disparition forcée des personnes, la torture, les traitements cruels, inhumains ou dégradants. La CVR condamne particulièrement la pratique extensive de la violence sexuelle contre les femmes. Tous ces actes constituent un déshonneur pour ceux qui les ont perpétrés directement ou ceux, dans leurs positions hiérarchiques supérieures ont investigué, permis ou couvert ces actes à travers des mécanismes d’impunité.»
Le gouvernement autoritaire mis en place a également été l’origine d’une large campagne de stérilisations forcées, sous couvert d’un programme de “planification familiale” destiné officiellement à diminuer la pauvreté. Si cette question n’a pas été évoquée par la Commission et qu’elle a longtemps fait l’objet d’une omerta, elle fait aujourd’hui au cœur d’une enquête approfondie. Le Rapport final, de juillet 2002, commandé par le ministère de la Santé, révèle qu’entre 1995 et 2000, 331 600 femmes et 25 590 hommes ont été stérilisés. Ces crimes ont en grande majorité concerné des femmes amérindiennes, essentiellement des Quechuas.