Libéria

Commission Vérité et Réconciliation

A partir de 1979, des tensions éclatent au Libéria. Entre coup d’Etat, dictature et guerre civile, le pays est plongé dans de violents affrontements donnant lieu à de nombreuses violations des droits de l’homme. Le pays n’est apaisé qu’en 2003 par les Accords d’Accra et l’aide de la communauté internationale. 

Le 10 juin 2005, le gouvernement libérien adopte la Loi établissant la commission vérité et réconciliation du Libéria afin de faire la lumière sur les graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre janvier 1979 et le 14 octobre 2003. La Commission rend son rapport final le 19 décembre. Elle publiera ensuite un rapport consolidé le 30 juin 2009.

Chronologie

1979 : Des émeutes éclatent dans la capitale, Monrovia, en réaction à la domination du pays par des colons afro-américains et de leurs descendants, appelés les Américano-Libériens. 

1980 : Le 12 avril, le président américano-libérien, William Tolbert est renversé par un coup d’État militaire, entraînant le meurtre du président et l’exécution sommaire de 13 ministres du gouvernement. Le coup d’Etat est mené par Samuel Doe, un sergent-chef de l’armée, qui prend le pouvoir. Le peuple libérien célèbre le coup d’État comme une libération de la domination américano-libérienne. Cependant, Doe instaure progressivement une dictature et suite à un coup d’Etat échoué, son gouvernement répond par des atrocités brutales contre les conspirateurs présumés et leurs partisans.

1989 : Charles Taylor envahit le Libéria avec son Front national patriotique. Soutenu par la Libye, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, Taylor a rapidement contrôlé une grande partie de la partie orientale du Libéria. Cette attaque déclenche une guerre civile. 

En réponse, les membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) décident l’envoi d’une force d’interposition, l’Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group (ECOMOG)

1993 : Après la signature de l’accord de paix de Cotonou au Bénin, négocié grâce à la CEDEAO, le Conseil de sécurité crée la Mission d’observation des Nations unies au Liberia (MONUL). Cette mission a pour mandat de contrôler le respect de l’accord de paix, et d’en vérifier l’application impartiale par toutes les parties. 

Des violences demeurent toutefois entre les groupes rebelles. 

1997 : Suite aux accords de paix, avec trois ans de retard sur le calendrier initial, des élections présidentielles se tiennent :  Charles Taylor est élu président de la république du Liberia avec 75 % des voix. 

En novembre, suite à la fin du mandat de la MONUL, l’ONU crée le Bureau d’appui des Nations unies pour la consolidation de la paix au Liberia (BANUL),afin d’aider le gouvernement à consolider la paix. 

1998 : l’ECOMOG quitte le Liberia.

Mais le gouvernement au pouvoir et les dirigeants de l’opposition se révèlent incapables de surmonter leurs différends ce qui mène à une reprise de la guerre civile. 

2003 : Le 1er août, le Conseil de sécurité adopte la résolution 1497 (2003): autorisation de la mise en place d’une force multinationale au Liberia et d’une force de stabilisation de l’ONU déployée au plus tard le 1er octobre 2003. Parallèlement, le 18 août 2003, les parties libériennes signent à Accra un accord de paix global, dans lequel les parties demandent à l’Organisation des Nations unies de déployer une force au Liberia afin d’appuyer le Gouvernement transitoire national du Liberia et de faciliter l’application de cet accord. 

Cela aboutit à la création de la Mission des Nations unies au Libéria (MINUL), à la démission de Charles Taylor, le 11 août, et à une passation pacifique des pouvoirs. 

2005 : La Loi établissant la commission vérité et réconciliation du Libéria est adoptée le 10 juin. 

2008 : La Commission rend son rapport final le 19 décembre. Elle publiera ensuite un rapport consolidé le 30 juin 2009. 

La commission en détails

Création : 20 février 2006 

Dissolution : 30 juin 2009

Base juridique : Loi établissant la commission vérité et réconciliation du Libéria du 10 juin 2005. 

 

Composition : Article 5 : “La CVR est composée de neuf (9) commissaires, dont quatre (4) femmes au moins pour l’ensemble de sa composition. Le Chef de l’Etat, sous réserve des sections 8 et 9 du présent règlement, nomme les membres de la CVR.”

 Jérôme J. Verdier (Président), M. Dede Dolopei (Vice-président), M. Oumu K. Syllah, Trésorier, Mgr Arthur F. Kulah, M. Kafumba F. Konneh, Mme Pearl Brown Bull, M. Gerald B. Coleman, M. John H. T. Stewart, M. Massa Washington.

« Un Comité consultatif technique international (ITAC) de trois personnes sera constitué pour travailler directement avec les commissaires dans l’accomplissement de leur mandat. »

Prof Henrietta Mensa- Bonsu, Dr Jeremy Levitt Member, Cllr. Adewole Ebeneze Adebayo Member et Dr. Kenneth A. Attafuah

 

Mandat : Enquêter sur les graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre janvier 1979 et le 14 octobre 2003. 

 

Compétences : Article 2 : 

Les objectifs et le but de la Commission sont de promouvoir la paix, la sécurité, l’unité et la réconciliation nationales :

– Enquêter sur les violations flagrantes des droits de l’homme et les violations du droit humanitaire international ainsi que sur les abus qui ont eu lieu, y compris les massacres, les violations sexuelles, les meurtres, les exécutions extrajudiciaires et les crimes économiques, tels que l’exploitation des ressources naturelles ou publiques pour perpétuer les conflits armés, au cours de la période allant de janvier 1979 au 14 octobre 2003 déterminer s’il s’agissait d’incidents isolés ou d’une tendance systématique ; établir les antécédents, les facteurs de circonstances et le contexte de ces violations et abus ; et déterminer les responsables de la commission des violations et abus et leurs motivations ainsi que leur impact sur les victimes. Nonobstant la période spécifiée dans le présent document, la Commission peut, à la demande de toute personne ou groupe de personnes, poursuivre les objectifs énoncés dans le présent article IV (Mandat de la Commission) pour toute autre période antérieure à 1979.

– Fournir un forum qui abordera les questions d’impunité, ainsi qu’une opportunité pour les victimes et les auteurs de violations des droits de l’homme de partager leurs expériences afin de créer une image claire du passé pour faciliter une guérison et une réconciliation véritables.

– Enquêter sur les antécédents des crises qui ont donné naissance au conflit violent en Libye et qui ont eu un impact sur le conflit violent au Liberia

– Mener un examen critique du passé historique du Libéria, en vue d’établir et de reconnaître les vérités historiques afin d’éliminer les faussetés et les idées fausses du passé concernant le développement socio-économique et politique de la nation.

– Adopter des mécanismes et des procédures spécifiques pour traiter les expériences des femmes, des enfants et des groupes vulnérables, en accordant une attention particulière aux violations fondées sur le genre, ainsi qu’à la question des enfants soldats, en leur donnant la possibilité de raconter leurs expériences, en répondant à leurs préoccupations et en recommandant les mesures à prendre pour la réhabilitation des victimes de violations des droits de l’homme dans l’esprit de la réconciliation nationale et de l’apaisement.

– Compiler un rapport qui comprend un compte rendu complet des activités de la activités de la Commission et de ses conclusions. 

Conclusions et recommandations

La Commission a rendu son rapport final le 19 décembre 2008 puis un rapport consolidé le 30 juin 2009. Il contient notamment les conclusions et recommandations suivantes : 

 

Conclusions : 

La TRC fait notamment les conclusions suivantes : 

– Le conflit au Libéria trouve son origine dans l’histoire et la fondation de l’État moderne du moderne du Liberia.

– Les principales causes profondes du conflit sont attribuables à la pauvreté, la cupidité, la corruption, l’accès limité à l’éducation, les inégalités économiques, sociales, civiles et politiques ; le conflit identitaire, le régime foncier et la distribution des terres, etc.

– Toutes les factions du conflit libérien ont commis et sont responsables de la commission de violations flagrantes du droit interne, du droit pénal, du droit pénal international, du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, y compris des violations de crimes de guerre.

– Toutes les factions engagées dans le conflit armé, ont violé, dégradé, abusé et dénigré, commis des violences sexuelles et sexistes contre les femmes, y compris le viol, l’esclavage sexuel, les mariages forcés et autres formes déshumanisantes de violations ; 

– Aucune faction en particulier n’a institué – dans certains cas de façon très limitée – un mécanisme adéquat pour éviter ou atténuer les violations massives des droits de l’homme qui ont caractérisé le conflit. 

– Toutes les factions et autres groupes armés ont recruté et utilisé des enfants pendant les périodes de conflits armés.

– Une forme de réparation à la fois individuelle et communautaire est souhaitable pour promouvoir la justice et une véritable réconciliation.

– Une forme de réparation à la fois individuelle et communautaire est souhaitable pour promouvoir la justice et une véritable réconciliation.

– Un mécanisme de poursuite est souhaitable pour lutter contre l’impunité et promouvoir la justice et une véritable réconciliation.

– Le manque de culture et d’éducation en matière de droits de l’homme, la dépravation et plus d’un siècle de siècle de suppression et d’insensibilité de l’État, et l’acclamation de la richesse par quelques privilégiés ont créé une conscience abaissée pour les violations massives des droits de l’homme pendant le conflit, engendrant ainsi une culture de la violence comme moyen de parvenir à ses fins, avec une culture d’impunité.

– Des acteurs étatiques externes en Afrique, en Amérique du Nord et en Europe ont participé, à la violence, à la guerre et au changement de régime contre les autorités constituées du Liberia et contre le peuple du Libéria pour obtenir des avantages ou des gains politiques, économiques et de politique étrangère.

 

Recommandations : 

La TRC formule de nombreuses recommandations, tant générales que spécifiques, avec pour objectif principal de promouvoir la paix, l’unité, la sécurité et la réconciliation. Les recommandations couvrent des sujets tels que la réparation, l’amnistie, les poursuites devant une Cour pénale libérienne spécialisée, les sanctions publiques et un mécanisme de consolidation de la paix Palava Hut. 

De manière générale, la Commission recommande :

 

  • Recommandations au peuple du Libéria 

La CVR recommande au peuple libérien de conserver une foi inébranlable dans le potentiel de la nation libérienne à se relever au-delà du dilemme actuel et à travailler assidûment à la mise en œuvre de toutes les recommandations de la CVR.

Que le peuple libérien commence à adopter des attitudes positives et à changer les anciennes mentalités sur la façon dont nous nous percevons en tant que nation africaine, à briser les barrières sociales, économiques et culturelles qui séparent la nation, et à envisager un nouveau Liberia fondé sur l’égalité des droits et le respect mutuel des valeurs culturelles de tous les Libériens, et sur l’égalité des chances pour tous.

 

  • Recommandations au gouvernement du Liberia

La CVR recommande au gouvernement du Libéria la mise en œuvre complète et rapide de toutes les recommandations contenues dans ce rapport. La mise en œuvre complète et rapide de ces recommandations est essentielle au redressement du Libéria et à son Libéria au-delà du conflit et contribuera à la construction d’une société plus juste et plus société plus juste et équitable dans laquelle chacun est égal devant un ensemble de lois qui garantissent une protection et des opportunités égales pour tous.

Le large éventail de recommandations adressées au gouvernement du Liberia, et plus particulièrement à la présidente du Liberia, comprend la garantie pour les femmes, les enfants et les autres populations vulnérables, de la pleine jouissance de leurs droits sociaux, économiques et culturels, en plus des droits civils et politiques.

Les recommandations au gouvernement comprennent également l’ensemble des recommandations mandatées par la loi sur la CVR, notamment les réparations, les mécanismes de justice et de réconciliation, les réformes institutionnelles, la gouvernance, les questions relatives à la diaspora, l’intégrité nationale et la corruption, la Commission nationale des droits de l’homme, etc.

 

  • Recommandations à la communauté internationale

La CVR recommande à la communauté internationale de poursuivre et d’envisager un engagement sécuritaire à long terme avec le Liberia et la sous-région jusqu’à ce que L’infrastructure de sécurité du Liberia soit fiable et stable.

La CVR recommande également à la communauté internationale de reconsidérer les objectifs du maintien de la paix et le modus operandi de la négociation des accords de paix, qui accorderont une grande importance aux droits de l’homme, à l’intégrité publique et à un investissement accru dans la prévention des conflits plutôt que dans la résolution des conflits et le soutien à la mise en œuvre des recommandations de la CVR.

La CVR recommande également la création de mécanismes permanents de prévention des conflits et d’alerte rapide qui donneront aux citoyens lésés la possibilité de présenter leurs griefs à un organisme international lorsque certains critères de paix et de démocratie ne sont pas respectés par leurs gouvernements. démocratie ne sont pas respectés par leurs gouvernements. Cela permet d’invoquer l’implication internationale. comme alternative aux actions violentes et aux protestations en vue d’un changement de régime.

Mesures post recommandations

En dépit de la pression de la communauté internationale dont notamment la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, les administrations antérieures et actuelles du gouvernement libérien n’ont pas respecté les recommandations du rapport. 

Pour autant, au lendemain de la guerre civile au Libéria, des dizaines de suspects de crimes de guerre libériens ont été arrêtés et jugés aux États-Unis et en Europe, mais aucune de ces mesures judiciaires n’a eu lieu au Libéria.

En 2012, Charles Taylor a été reconnu coupable de crimes de guerre par la Cour internationale de justice et condamné à 50 ans de prison.

Prise en compte des violences sexuelles

La Commission attache une importance particulière aux violences sexuelles et en reconnaît son utilisation importante durant le conflit libérien. Elle énonce : “Au Liberia, le viol et la violence sexuelle à l’égard des femmes ont été utilisés comme des armes de guerre et doivent donc être clairement considérés comme une tactique de pouvoir et de contrôle social sur les femmes, les hommes utilisant le corps des femmes comme  » front de bataille « .”

De plus dans ses conclusions générales, la Commission déclare : “Toutes les factions engagées dans le conflit armé, ont violé, dégradé, abusé et dénigré, commis des violences sexuelles et sexistes contre les femmes, y compris le viol, l’esclavage sexuel, les mariages forcés et autres formes déshumanisantes de violations”

 

La Commission consacre l’annexe 3 de son rapport “aux femmes et le conflit armé”. La question des violences sexuelles y est abordée largement, bien que la Commission insiste sur le fait que ce ne sont pas les seules crimes commis à l’encontre des femmes. 

La Commission fait notamment les constats suivants concernant les violences sexuelles : 

– “Au Liberia, comme dans d’autres zones de guerre, les actes sexuels ont été utilisés pour violer une personne de manière mentale, physique, émotionnelle, économique et psychologique et pas nécessairement comme un simple moyen de satisfaire des désirs sexuels.”

– Les hommes ont également été largement victimes de violences sexuelles : “Comme le montrent les données, de manière contre-intuitive, les hommes sont apparus comme une grande catégorie de victimes de la violence sexuelle lorsque la définition de la violence sexuelle est étendue pour inclure le déshabillage, l’humiliation, la molestation et la servitude sexuelle. Les études menées au Libéria révèlent que la violence sexuelle sur les hommes est très peu signalée et n’est donc pas prise en compte dans les programmes de DDRR ou autres programmes de relèvement. Cette dynamique a de graves conséquences sur le redressement du Liberia en tant que nation, comme nous le verrons plus loin.””

– “La violence sexuelle à l’égard des femmes était d’une nature particulière, impliquant des actes brutaux de viol, de viols collectifs et de viols multiples, de viols vaginaux et anaux, mais aussi des objets, des fusils, des plants de manioc, des bâtons, des bottes et des couteaux.”

– “Le travail forcé était également pratiqué : les femmes qui étaient emmenées pour laver et cuisiner pour les combattants étaient également abusées sexuellement et gardées comme esclaves sexuelles. “

– “Aucune femme ou fillette n’était épargnée et des petites filles étaient violées à mort devant leurs parents et leurs frères et sœurs.”

– La tranche d’âge des femmes visées par les violences sexuelles était de 15 à 19 ans.

– Les déplacements forcés ont favorisé les violences sexuelles : “Les filles réfugiées et déplacées à l’intérieur de leur propre pays étaient régulièrement exposées au viol, aux abus sexuels et à la prostitution dans les camps. Elles étaient également victimes de vols, de harcèlement, d’intimidation, d’attouchements et de violences sexuelles. Les filles réfugiées et déplacées, dont 80 % avaient moins de 18 ans, étaient exploitées sexuellement par des soldats, des hommes d’argent, des chefs de quartier, des hommes d’affaires et des travailleurs humanitaires, y compris ceux des organisations non gouvernementales.”

– “Bien que les violations perpétrées à l’encontre des femmes et des jeunes filles ne se limitent pas à la violence sexuelle, les conséquences de cette violence ont un impact plus large et plus étendu dans la mesure où les préjudices qui s’ensuivent sont la perte de la capacité reproductive et sexuelle, les complications médicales telles que les fistules et les infections sexuellement transmissibles, l’infection par le VIH/SIDA, les grossesses non désirées qui s’ensuivent, l’enlèvement des enfants par les combattants, ainsi que l’ostracisme et la victimisation supplémentaire soit en raison de la fécondation, soit parce que l’on a été utilisé comme esclave sexuel ou « femme de brousse ».”

 

Pour finir, la Commission fait les recommandations suivantes concernant les victimes de violences sexuelles : 

– “Toutes les femmes ayant subi des violations sexuelles doivent bénéficier de services médicaux gratuits.”

– “Il doit y avoir des cliniques spécialisées pour les femmes afin de traiter les problèmes spécifiques résultant de la violence de la guerre. Des soins gratuits et cohérents doivent être fournis à toutes les survivantes de viols et de violences sexuelles sur le plan médical et psychologique.”

Documents complémentaires

Médiathèque audiovisuelle

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