Haïti

Commission Nationale Vérité et Justice

Après les « années Duvalier », un régime de terreur qui a duré vingt neuf ans, Haïti a organisé ses premières élections démocratiques en 1991. Cependant, le Président élu, Jean-Bertrand Aristide, fut rapidement renversé par un coup d’État militaire mené par le général Raoul Cedras. Ce dernier met alors en place une dictature militaire. Entre 1991 et 1994, le régime se rend coupable de violations systématiques des droits de l’Homme : exécutions sommaires, disparitions forcées, torture, détention arbitraire, violences sexuelles envers les femmes. Ce n’est qu’en 1994, que suite à l’opération américaine « Rétablir la démocratie »,  le Président Jean-Bertrand Aristide reprend la tête du pays.  

Le 17 décembre 1994, est adopté l’arrêté présidentiel portant création de la Commission nationale de vérité et justice. Cette Commission a pour mandat d’enquêter sur les violations commises durant le régime autoritaire du Général Raoul Cedras entre 1991 et 1994 afin de favoriser la réconciliation de tous les Haïtiens. L’arrêté exhorte la Commission à porter une attention particulière aux crimes d’agressions de nature sexuelle commis pour des motifs politiques contre les femmes durant cette période. Le Rapport final a été remis le 5 février 1996 ; une seconde édition a été publiée en français en 1998 pour qu’il soit plus accessible aux Haïtiens.

 

Chronologie

1990 : Premières élections démocratiques du pays. Jean-Bertrand Aristide est élu Président. 

1991 : Le 29 septembre, le Président Jean-Bertrand Aristide est destitué par un coup d’Etat des forces armées haïtiennes. Les 29 et 30 septembre sont les jours les plus sanglants de la période du régime militaire qui suivra. Ce coup d’Etat est directement condamné par la communauté internationale (Organisation des États américains, Organisation des Nations Unies…). 

Les sympathisants et militants du mouvement Lávalas, ou seulement présumés, sont pourchassés et sont victimes de multiples violations de leurs droits. La torture est largement utilisée comme la pratique des disparitions forcées et les détentions arbitraires. De même, la pratique des viols pour raison politique prend dès le début du régime une ampleur considérable. Également, la presse et les stations de radio sont particulièrement pris pour cible et subissent des attaques multiples (mitraillage de locaux, destruction des équipements, menaces, intimidations, arrestations de journalistes, attaques contre les vendeurs de journaux…). 

1992 : La répression s’intensifie, notamment vis à vis de la presse, des médias et des associations populaires et paysannes. 

Le 23 février, est signé l’Accord de Washington qui prévoit la restauration du président Aristide dans ses fonctions, la professionnalisation de l’armée et le maintien du chef d’état-major. Mais cet accord sera jugé inconstitutionnel par la Cour de cassation Haïtienne. 

Du 18 au 21 août, une délégation de l’OEA séjourne dans le pays et rencontre les représentants de différents secteurs de la société. 

1993 : En janvier, des élections illégales et frauduleuses se tiennent et renouvellent le tiers du Sénat et sont suivies de représailles contre les abstentionnistes.

En février, une mission civile conjointe de l’OEA et de l’ONU remplace la mission préalablement envoyée par l’OEA. Elle exerce une influence non négligeable.  

En juin, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 841, imposant un embargo sur l’essence et les armes ainsi que le gel des avoirs des autorités de facto.

En juillet, à New York, le président Aristide et le général Cédras signent l’Accord de Governors Island puis le Pacte de New York qui comprennent l’engagement de respecter les droits de l’homme, précise les étapes du retour du président Aristide, initialement prévu le 30 octobre 1993, et la levée de certaines sanctions économiques. 

En septembre, la Mission des Nations unies en Haïti (MINUHA) pour le maintien de la paix est mise en place. Elle restera jusqu’en 1996. 

1994 : En réponse aux Accords de Governors Island, la répression s’intensifie en Haïti. Les violations des droits de l’homme s’accélèrent et de nombreux attentats se succèdent dans le pays. Egalement, le viol des femmes réapparaît de manière massive et systématique, comme à la fin de 1991. 

Le 15 septembre, dans un discours télévisé, le président américain Bill Clinton demande officiellement aux autorités militaires de se retirer du pouvoir. Après avoir mis l’accent sur la situation alarmante des droits de l’homme en Haïti, il annonce l’intention des États-Unis d’utiliser la force, si nécessaire, pour mettre fin à cette situation. Le 10 octobre 1994, le général Raoul Cédras démissionne. Jean-Bertrand Aristide revient à la tête du pays le 15 octobre.  

Le 17 décembre 1994, est adopté l’arrêté présidentiel portant création de la Commission nationale de vérité et justice.

1996 : Le Rapport final de la Commission est remis le 5 février. Une seconde édition sera publiée en français en 1998 pour qu’il soit plus accessible aux Haïtiens.

La Commission en détails

Création : 17 décembre 1994 ; mise en place effective le 1er avril 1995.

Dissolution : Février 1996 (11 mois)

Base juridique

– Arrêté présidentiel du 17 septembre 1994 portant création de la Commission nationale de vérité et justice ;

– Arrêté présidentiel du 28 mars 1995 portant mandat de la Commission nationale de vérité et de justice.

 

Composition : Articles 13 et 14 de l’arrêté du 28 mars 1995 : “La Commission est composée de sept membres choisis parmi des responsabilités connues pour leur engagement en faveur de la primauté du droit et du respect des droits de l’homme ainsi que pour leur compétence, leur intégrité, leur crédibilité et leur autorité morale et intellectuelle. Trois de ces membres sont choisis en consultation étroite avec l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation des Etats Américains.”

Françoise BOUCARD (Présidente), Gérard-Emmanuel DES ÎLES, Ertha ELYSEE, Freud JEAN, René MAGLOIRE, Bacre Waly NDIAYE, Patrick ROBINSON.

 

Mandat : Enquêter sur les violations des droits de l’Homme qui ont été commises sur une période plus de trois ans qui s’étend du coup d’État du 29 septembre 1991 qui a chassé le Président Aristide du pouvoir jusqu’à son retour au pouvoir en septembre 1994, et aider ainsi à la réconciliation de tous les Haïtiens. La Commission porte une attention particulière aux violations et crimes contre l’humanité commis par les mêmes personnes ou groupes de personnes, notamment contre les femmes victimes de crimes d’agressions de nature sexuelle pour des motifs politiques (article 3 de l’arrêté du 28 mars 1995).

 

Compétences : Articles 4 à 8 de l’arrêté du 28 mars 1995 

– enquêter sur les graves violations des droits de l’Homme ;

– identifier les instigateurs, les auteurs matériels et/ou les complices ;

– faire la lumière sur les méthodes et moyens utilisés ;

– identifier les causes et circonstances entourant les tortures, traitements cruels, disparitions, arrestations arbitraires, détentions sans procès, emprisonnements arbitraires, souffrances endurées ;

– enquêter sur les groupes paramilitaires et groupes armés illégaux ou tout groupe agissant en impunité sous le couvert de l’État haïtien ou avec sa tolérance ou à son instigation ;

– identifier les victimes des violations en réunissant tous les indices, témoignages et éléments de preuves ;

– recommander des mesures de réhabilitation et de réparation destinées à rendre la dignité aux familles et aux victimes ;

– proposer des recommandations destinées à garantir la non-répétition de ces violations.

Conclusions et recommandations

La Commission a rendu son rapport final le 5 février 1996. Il contient notamment les conclusions et recommandations suivantes :

Conclusions : 

– La Commission a recueilli près de 5 500 témoignages, identifié 8 867 victimes qui ont souffert de plus de 18 000 violations des droits de l’Homme. Néanmoins, la Commission estime avoir enregistré un nombre très en deçà des violations commises pendant la période de référence.

– Dans les moments de pointe de la répression (septembre et octobre 1991, octobre 1993), tous les types de violations des droits de l’homme augmentent considérablement. Cependant, la répression demeure constante durant toute la période.

– Suite au putsch du 29 septembre 1991, d’importants flots de réfugiés se sont constitués en raison de la répression qui a sévi dans le pays. Durant les trois ans qu’aura duré le régime de facto, ce flux a drainé environ 150 000 personnes d’après des estimations concordantes.

 

Recommandations : 

Mesures de réparation : Création d’une Commission spéciale de réparation du préjudice causé aux victimes du régime de facto.

Viols et violences sexuelle contre les femmes : Modification de la classification du viol parmi les atteintes aux bonnes mœurs, Création de programmes destinés à améliorer l’accueil et la prise en charge des victimes de viol, Conduite d’enquêtes sur les auteurs non identifiés des viols recensés par la Commission, Mise en place de compensation pour les victimes de viols… 

Réformes des institutions judiciaires : Mise en place d’un Comité d’évaluation des juges selon leur intégrité, leur honnêteté, leur impartialité, leur souci du respect des droits de l’homme et leur dévouement à l’État de droit. 

  • Recommandations relatives aux structures : Modification des critères de nomination des juges, Augmentation du nombre des commissaires du gouvernement, Élargissement du rôle du protecteur du citoyen, Renforcement du rôle de la police nationale comme auxiliaire de la justice et gardienne de la paix publique, Révision du mandat de la Commission de refonte des codes haïtiens, Réforme du Code pénal et du Code d’instruction criminelle, Réforme du Conseil supérieur de la magistrature, Création du poste de secrétaire permanent du ministère de la Justice… 
  • Implantation de la réforme judiciaire : Création d’un groupe de travail au sein du ministère de la Justice chargé de suivre la mise en œuvre de la réforme. 
  • Réforme de la loi sur le barreau 

 

Poursuites et sanctions : Référer aux autorités judiciaires tous les cas mentionnés dans le rapport où une violation des droits de l’homme a été constatée et le (ou les) auteur(s) identifié(s), aux fins d’instruction, de poursuite, et dans les cas appropriés, de sanction, Ouvrir dans les 30 jours de la publication du rapport, des instructions contre les auteurs présumés de violations des droits de l’homme identifiés et organisation de sessions spéciales des assises dans tous les départements pour juger les auteurs des graves violations des droits de l’homme au fur et à mesure de la mise en état de leur dossier, Conduite d’enquêtes plus approfondies en vue de déterminer le degré de complicité des officiers supérieurs de l’armée et de la police dans les violations de droits de l’homme documentées…

Autres recommandations : Signature et ratification de plusieurs instruments du droit international relatif au domaine des droits de l’homme, Construction d’un mémorial pour honorer la mémoire des victimes du régime de facto, Prise de toutes les dispositions nécessaires pour faire rapatrier le plus tôt possible les dossiers du Fraph actuellement en la possession du gouvernement des États-Unis, Création d’un Comité chargé d’assurer le suivi des recommandations, Garantie du dynamisme d’une presse libre et indépendante dans un respect scrupuleux du droit à la liberté d’expression et d’informatione et Établissement d’un code de conduite en vue d’empêcher la manipulation des médias d’État à des fins de propagandes idéologiques.

mesures post recommandations

La plupart des victimes sont toujours en attente de justice, seuls quelques procès ont été tenus. 

Notamment, le Procès concernant le massacre de Raboteau s’est conclu en novembre 2000. Plus de 50 personnes ont été reconnues coupables, en particulier la chaîne de commandement militaire et le chef des paramilitaires du FRAPH. Mais le 3 novembre 2005, la Cour suprême a annulé la condamnation de 15 anciens militaires et membres du FRAPH. Aucun des coupables n’est en prison à ce jour.

prise en compte des violences sexuelles

Le mandat de la Commission insiste sur l’intérêt que celle-ci doit porter “aux crimes d’agressions de nature sexuelle commis pour des motifs politiques contre les femmes durant cette période”. Ainsi la Commission consacre une partie de son rapport final à cette question intitulée “Enquête spéciale sur les Viols perpétrés contre les Femmes sous le Régime de facto”. 

La Commission déclare : “Dès 1991, on observe de nombreux cas, qui présentent toutes les caractéristiques d’une orchestration politique s’inscrivant dans le contexte de l’intimidation et de la répression sauvage de l’opposition au coup d’État. Pour la plupart, ces viols sont indubitablement commis pour des raisons politiques, clairement manifestées par les agresseurs de par leurs menaces, leurs insultes et leurs accusations.” Elle ajoute que “tous les cas ont été accompagnés d’autres violations des droits de l’homme telles que tortures, menaces de mort, détentions forcées, exécutions sommaires d’autres membres de la famille, vols ou extorsion.”

La Commission fait état des difficultés rencontrées par ses enquêteurs pour récolter les témoignages : 

  • Les réticences habituelles des victimes de ce type de violations, soit essentiellement la honte de la victime et son humiliation, le désir de garder secret cet épisode dégradant afin d’éviter la stigmatisation et le rejet par le voisinage, ou d’un rejet par la famille et le mari. 
  • La démotivation des victimes, due au fait que l’enquête a démarré plusieurs mois après les faits, et que la CNVJ n’offrait aucun soutien médical ou logistique.
  • De nombreuses victimes avaient déménagé ou étaient introuvables.
  • Les femmes savent que le viol est difficile à prouver et que la loi haïtienne encore en vigueur actuellement ne les soutient pas efficacement dans leur désir de reconnaissance et de réparation.


Elle explique également la complexité de l’identification des auteurs, notamment car “il est difficile de distinguer les différentes appartenances des violeurs car, très souvent, l’armée, les attachés militaires et le Fraph opèrent ensemble” et “car la plupart étaient masqués ou inconnus des victimes.”

Dans cette partie dédié aux violences sexuelles, la Commission établit que ces viols sont sont constitutifs de : 

  • persécution des Haïtiens à cause de leurs convictions politiques
  • peine ou traitement cruel, inhumain et dégradant
  • torture
  • crime contre l’humanité
  • violation de la loi nationale haïtienne (Code Pénal)

 

La Commission fait également 11 recommandations relatives aux viols et violences sexuelles contre les femmes concernant entre autre la réglementation concernant les certificats de viol, le travail de tout le personnel engagé dans le service aux victimes de viols, la création de services spécialisés pour les femmes violées, que des procédures judiciaires soient introduites contre les auteurs présumés de viols cités dans son rapport ou encore toutes les victimes de viols identifiées selon les critères de la Commission doivent recevoir compensation.

documents complémentaires

A voir aussi

Commission Nationale Vérité et Justice

La Commission Nationale Vérité et Justice d’Haïti a été créée en 1995 afin d’enquêter sur le coup d’Etat survenu en 1991 et qui plongea le pays dans une période politique dictatoriale jusqu’en 1994.

Le rapport final est présenté en 1996. Concernant les violences sexuelles, le rapport final fait part de recommandations.